Lorenzo Mattotti est revenu à la BD avec Guirlanda (Casterman) un projet qu’il portait depuis dix ans. Avec lui, son ami Jerry Kramsky, un compagnon de route. Voyage chez les Guirs, un monde que Mattotti a mis à jour et où il invite ses lecteurs à venir rêver avec lui. Une balade, certes légère, parfois plus dure, mais qui charme et envoûte, et dans laquelle l’auteur de Feux et du Bruit du givre se livre comme il l’a fait aussi avec ligneclaire qui l’a rencontré dans son atelier parisien. Mattotti expose ses originaux à la galerie Martel à Paris jusqu’au 13 mai. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Lorenzo Mattotti, Guirlanda est un projet très personnel ?
C’est un projet qui a mis du temps. L’idée principale, je l’ai eue après le Bruit du givre, vers 2004. On a commencé à échanger avec Jerry Kramsky et le projet a été retardé par d’autres travaux, court-métrage, carnet de voyages, illustrations. C’était une histoire que je voulais faire pour le plaisir. En fait tout est parti de mes cahiers de dessins, de ces animaux que j’y avais dessinés et qui pouvaient avoir une histoire. Ils sont devenus les Guirs.
Guirlanda est un conte ?
Oui. Mes cahiers contiennent parfois de dessins qui m’émerveillent moi-même. De temps en temps, je fais des créatures bizarres, fantastiques, surréalistes abstraites aussi. Le Lien fragile en 1999 a été un peu le point de départ. D’étranges animaux en sont sortis. Ils ont pris une identité. Je m’étais dit que je voulais faire aussi une oeuvre avec des paysages, montrer la nature.
Votre travail est très pictural, graphique et s’appuie sur une histoire celle des Guirs.
Mes dessins ont construit un monde, celui des Guirs. Il fallait créer les liens pour le lecteur entre dans ce monde qui existait déjà et les personnages. La seule personne qui pouvait faire cela avec moi, m’aider, c’était Jerry Kramsky. On a travaillé ensemble, on se connaît depuis longtemps. On a fait beaucoup de choses étranges, surréalistes, avec légèreté parfois avec ce style de fantaisie. Je lui ai demandé ce qu’il en pensait. Je jetais les idées et on échangeait. J’ai toujours aimé travailler avec d’autres.
Vous aimez l’échange ?
Oui parce que seul je me perds. Les dialogues m’intéressent moins que les images.
Guirlanda commence en douceur et tourne plus ou moins bien.
Il faut trouver à un certain moment un ressort à une histoire. Si tout reste tranquille c’est le calme plat. On a eu au départ l’idée de faire des histoires courtes avec le Guir. Mais un feuilleton c’est pour un magazine. Ce n’est pas mon truc. Je m’ennuie. On a crée un vrai monde imaginaire
Il n’y a pas une connotation religieuse ?
Absolument pas. Il n’ y a rien de religieux. J’ai déjà donné avec Stigmates. La petite fille de Guirlanda, l’enfant c’est l’espoir et tous les parents voient dans leur enfant l’espoir d’une vie meilleure, un futur. C’est une métaphore. La petite fille devient autre chose.
Malgré des obstacles redoutables.
Au départ, les Guirs sont naïfs mais c’est très dangereux la naïveté. Le monde est toujours en métamorphose et offre de nouvelles possibilités. La naïveté cela peut créer de grands bouleversements pour des conneries. On a voulu travailler en légèreté, en gentillesse avec certes des complications mais avec humour et poésie. Il faut avoir ce courage, ne pas être cynique même si il y a des éléments cyniques dans l’histoire. Je n’aime pas qu’on puisse lire mépris ou distance dans mon travail. J’ai une sorte d’empathie avec mes personnages.
La bonté peut se payer cher. Le nid par exemple de la famille Guir est une belle image. Toute l’histoire est basée sur des idées graphiques et tout se développe en enchainant les dessins.
Il y a une influence asiatique dans Guirlanda ?
Oui, parfois dans mon travail. La montagne c’est asiatique mais aussi européen. Mon imaginaire mélange toutes les influences. C’est un peu une méthode orientale. Ce ne sont pas des dessins automatiques par contre. Il y a une grande concentration dans mon dessin. Ce n’est pas réfléchi. Pas de croquis ou de crayonné, il y a une page blanche et j’improvise, une fleur, un arbre.
Une inspiration naturelle ?
Tout est venu simplement et je m’amusais vraiment. Je retrouvais les sources du plaisir de ma jeunesse quand je passais des heures à raconter des histoires en BD. Construire l’histoire, le temps, c’était compliqué de l’enfermer dans les pages. Chaque fois on trouvait de nouvelles pistes et cela devenait énorme. Comme je travaillais en même temps à mon film d’animation, il fallait qu’on mette un terme au livre, le boucler. J’ai réussi à me consacrer au livre qui était quand même déjà structuré et on a pu fermer le cercle.
C’est un bel ouvrage, une œuvre majeure. Guirlanda est très important pour vous ?
Cela faisait longtemps que je n’avais pas fait une histoire en BD. Pour moi il y avait l’envie de concrétiser un monde ancien. J’avais peur. C’est un monde visionnaire.
On peut y voir aussi une tragédie grecque, un théâtre dramatique, avec des envolées lyriques.
Absolument. Le grand plaisir était de mélanger les choses, le monde des morts. Que va-t-il se passer ? Un voyage, l’Odyssée, la Métamorphose d’Ovide. On ne voulait pas que cela devienne lourd. On a contrôlé le niveau du texte, les dialogues, attentif au rythme, à la narration fluide. On l’a fait lire à des amis et si besoin on ajoutait des pages. Il fallait qu’il y ait du plaisir à aller dans ce monde. C’est compliqué et il ne fallait pas que le lecteur décroche. Le dessin devait avoir de l’énergie.
On devait poser au départ les bases et c’est quand le héros part que commence le vrai voyage, laisser une grande part à l’improvisation. Sur dix ans de travail, il ne faut pas être figé. On avait le final mais il y a eu des blocages. On a laissé parfois reposer.
Vous avez ressenti un vrai plaisir ?
Pour le dessin oui. On a été dans des impasses pour la structure. Pour obtenir cette légèreté, cela devait être une vraie fiction et il faut mettre de soi dans les personnages.
Vous laissiez aller votre dessin de façon automatique ?
Ce n’est pas du tout le mot. Il faut se laisser aller avec des mécanismes naturels. Mon grand plaisir a été de me perdre dans les nuages, les brumes de Guirlanda.
Sur quel format avez-vous travaillé ?
Un peu plus grand que le livre. Quand j’avais envie de dessiner la végétation, des arbres, je pouvais passer des heures à me perdre dans le trait.
Il y a une leçon à tirer ?
On revient à l’idée que les parents créé une créature différente qui va partir. Il faut l’accepter. Un perpétuel changement. Les Guirs sont enfermés et commencent à voyager vers l’inconnu.
On change de monde. J’aimerais que les gens imaginent eux-mêmes des univers. Je me suis immergé jeune dans des mondes en BD que je ne connaissais pas. Fred, Moebius, je l’ai mis en hommage. Pas être soi-même mais pouvoir concrétiser des mondes de mélanges, autres. Des imaginaires personnels, marginaux mais vierges.
Donc être honnête.
Oui mais personnel en enrichissant l’imaginaire des autres. L’imaginaire aujourd’hui est bien fait mais professionnel, plat. La BD est sous contrôle, logique. Les grands écrivains n’étaient pas logiques. Je voulais retrouver cette énergie légère et naïve sans être obligé de dire toujours quelque chose d’intelligent. Approfondir oui. On a peur des choses bizarres mais le monde est bizarre. On créé des mécanismes pas naturels.
Et après Guirlanda, aujourd’hui ?
Je fais un film d’animation mais vraiment c’est autre chose, compliqué, long. C’est l’adaptation animé de Buzzati, La Fameuse invasion des ours en Sicile. Un travail très méthodique mais on avance. Dans deux ans je pense il sortira. On est bien, on a passé un cap. Ce sera en couleur.
J’ai d’autres idées. J’aimerai faire de la peinture. Il y a eu la grande exposition de mes œuvres à Landernau qui est allée ensuite en Italie. Faire des expos c’est très important. Avec Guirlanda et L’invasion des ours j’affronte la problématique de travailler avec un langage populaire. Avec Kramsky on a voulu faire quelque chose d’accessible avec Guirlanda. Ce qui n’est pas toujours mon cas. Mon travail joue au ping-pong entre ces deux facettes.
Guirlanda a été une belle aventure, enthousiasmante.
Cela me fait un grand plaisir à entendre et cela soulage. On n’a pas fait quelque chose à la mode. Même inconsciemment. Je ne me pose pas la question de savoir si cela va marcher mais comment je vais pouvoir faire accepter aux autres mon sujet, mes idées, leur raconter mon histoire. C’est tout.
Guirlanda, 392 pages en noir et blanc, Casterman, 35 €
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