Xavier Dorison est l’un des plus actifs et reconnus scénaristes du 9e art. Thorgal bien sûr ou Kriss de Valnor, Undertaker, W.E.S.T., Long John Silver, Sanctuaire, Dorison a accumulé les succès. En reprenant le scénario le Thorgal, Xavier Dorison savait qu’il serait attendu à la sortie entre autres par les lecteurs. Avec Le Feu écarlate, trente-cinquième album de la série créé par Van Hamme et Rosinski, Dorison boucle un cycle, prépare la suite des aventures de Thorgal et continue toutefois à se laisser porter par ses autres envies scénaristiques en BD, cinéma ou séries TV. Xavier Dorison fait un état des lieux sur sa carrière aujourd’hui, avec recul et pragmatisme. Propos recueillis par J-L. TRUC. Cette interview a été aussi publiée dans le numéro de décembre du mensuel ZOO.
Xavier Dorison, Le Feu écarlate est sorti. Pouvez-vous faire un bref retour en arrière sur votre arrivée dans l’aventure Thorgal ?
En 2013, j’ai été contacté par Le Lombard après le départ de Yves Sente. A l’époque, l’éditeur me demandait surtout un avis de consultant et des propositions de nouvelles pistes pour faire revenir la série vers son « cœur narratif ». Ils m’ont ensuite proposé d’écrire ces préconisations. Cela supposait évidemment de reprendre la trame du cycle d’Orient et de mettre mes pieds dans les traces de Yves Sente. Et cela sans ne l’avoir jamais rencontré et sans avoir lu la moindre ligne de ce qu’il avait prévu.
Vous avec dû respecter des règles précises avec cette reprise ?
Pas vraiment des « règles » mais il est clair que mon scénario doit être approuvé par Grzegorz et Piotr Rosinski, ainsi que par mon éditeur. C’est bien normal. Après tout je ne suis qu’un « invité » sur leur création. Ils m’ont demandé de retrouver plus de simplicité dans l’histoire, de conclure le cycle de Bag’Dadh et faire revenir Thorgal dans le nord. Précisément d’ailleurs ce que j’aurais aimé faire. Après, je reste assez libre dans mes envies et eux ont la possibilité de commenter mon scénario. Comme je peux aussi commenter les planches ou le découpage.
Comment avez-vous élaboré ce scénario ?
Assez différemment de ce que je fais habituellement. Généralement je pars de la fin pour ensuite écrire le début. Mais il y avait cette fois un objectif et un but, une mission même si le mot peut paraître fort, avec le tome 35 qui était de terminer le cycle en Orient en un tome avec des contraintes liées aux albums précédents. Et envisager pour la suite un croisement de la série mère avec les séries parallèles. Donc le tome 36 sera le retour dans les brumes nordiques comme prévu à la fin du 35, un voyage plein de rebondissements sur lequel je travaille actuellement. Pour l’album 37 les séries se retrouveront et enfin à partir du 38 on reviendra à des one-shot.
L’heroïc fantasy est un genre que vous n’aviez pas vraiment pratiqué. Avec Thorgal vous avez été plongé totalement dans le genre ?
L’heroïc fantasy est un genre plus difficile qu’il n’y paraît. On pourrait croire qu’avec une bonne dose de magie et des créatures monstrueuses partout vous allez rendre votre histoire intéressante. Rien n’est plus faux. Non seulement toutes les règles de ce genre de monde doivent être reprises à zéro et expliquées au lecteur, mais le cœur de votre histoire se doit d’être purement humain. Pour moi, ce n’est pas pour rien si la Quête de l’Oiseau du Temps et Thorgal font partie des rares chef d’œuvre du genre en BD. Vous comprendrez donc que j’ai été quelque peu inquiet avant d’aborder la « viking fantasy » créée par Jean Van Hamme.
Avec ce Thorgal vous avez pu donner l’impression de faire un curieux mélange. Dans Le Feu écarlate, Aniel est une sorte de messie revenu sur Terre et qui se retrouve dans un univers où s’affrontent magiciens, politiques sur fond de conflit spirituel. Le rapprochement avec islamisme, embrigadement et fanatisme est possible ?
Ah bon ? Sérieusement… Cet album parle avant tout de l’affrontement entre un père et un fils à qui une secte a lavé le cerveau. Et pour une fois Thorgal doit sauver un personnage. Qui ne veut pas l’être ! Et en plus, Aniel sait parfaitement où appuyer pour faire mal à son père. Pour le reste, le contexte est juste un mélange que j’ai créé en associant mes connaissances liées au siège de Jérusalem pendant les Croisades et les grandes étapes de la révolution de 1979 en Iran. Les Mages Rouges sont dans Thorgal depuis des années. Alors y voir un raccourci avec ce que l’on connait aujourd’hui au Moyen Orient, Daesh ou autre, il y a un monde.
Donc pas de politique dans Thorgal ?
Thorgal n’est pas une série politique. Jean Van Hamme ne l’a jamais voulu ainsi et Rosinski, dans la Pologne de Jaruzelski, n’aurait jamais pu critiquer le régime dans ses pages. Thorgal est avant tout une histoire de famille dans un monde merveilleux. Dans Le Feu écarlate, on est dans un conflit typique d’adolescence très contemporain. La seule solution pour Thorgal est de parler, de discuter avec son fils comme nous le faisons avec nos propres enfants. Ce qui, pour lui, est bien plus difficile que de tirer à l’arc ou de traverser une jungle.
On a pu aussi entendre des rumeurs sur l’abandon du dessin de Thorgal par Rosinski ?
Rosinski dessinera bien le prochain album, je peux vous le confirmer. Et son dessin, plus baroque en particulier dans Le Feu écarlate, affirme pleinement mon récit.
Vous avez touché à presque tous les genres. Et maintenant ?
Pas tous les genres, loin de là ! Par exemple, je n’ai jamais fait de « pure comédie ». J’adore en lire ou en voir, mais en écrire ? C’est une dramaturgie trop différente de celles que je connais un peu et je me sentirais bien incapable d’en réussir une. Après, j’aimerais encore aborder de nouveaux genres. J’ai fini d’écrire le scénario d’un conte animalier pour adulte ; « Le Château des animaux », et d’une comédie dramatique (en co-écriture avec Antoine Cristau), « Ulysse & Cyrano ». Pour la télévision, je travaille sur l’adaptation en série de H.S.E (Human Stock Exchange) et sur un huis-clos politique autour d’un sommet du G20. Mais, autant les genres et les sujets varient, autant je crois que ma façon d’écrire et mon style de scénario restent – pour le meilleur et pour le pire – dans la même ligne. Le prochain exemple sera dans le tome 3 d’Undertaker qui sortira en janvier pour Angoulême.
Vous pourriez citez quelques-uns de vos repères en BD ou cinéma ?
Comme ça ? Allez. La Quête de l’Oiseau du temps avec Le Rige, Watchmen en comics et Le Cycle de Qâ ou Alinoë pour Thorgal. Côté cinéma, La Colline des hommes perdus, Les Sentiers de la gloire, African Queen. Rien de bien récent !
Revenons à Thorgal. Vous avez des doutes ? Vous avez pris des risques en acceptant la reprise ?
Je suis toujours un peu angoissé à la sortie d’un de mes albums. Le seul risque qui me fait peur à chaque fois que j’écris est – pour citer encore Jean Van Hamme – « d’emmerder le lecteur ». Je déteste m’ennuyer en lisant ou en voyant un film et j’aimerais éviter de faire subir ça à ceux qui ont la gentillesse de m’accorder un peu de leur temps. Après, j’écris avant tout pour faire plaisir. J’ai fait de mon mieux. Maintenant, aux lecteurs de juger.
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