Il est rare qu’un roman graphique possède autant de qualités littéraires, les deux étant tout à fait compatibles sans pour autant quantifier la part de l’un par rapport à l’autre. Dès les premières pages Le Port des Marins Perdus s’impose comme une œuvre d’une rare richesse, d’une originalité étonnante même si le sujet diront certains esprits chagrins est un mélange de thèmes maritimes déjà approchés. Le couple Teresa Radice et Stefano Turconi a écrit, et dessiné, un ouvrage ambitieux, envoûtant, pertinent et dont la poésie joue avec l’action, l’aventure, l’amour, la générosité. On n’aura qu’un seul (petit) regret. Imprimer un crayonné est prendre un risque, celui d’un contraste parfois un peu pâlichon.
1807 : Un jeune garçon, Abel, sauvé de la noyade se souvient de rien. Le capitaine Roberts se prend d’affection pour lui. Il semble doué pour la mer et la navigation. La course en haute mer demande des nerfs d’acier. Abordage, butin, Abel est au premier rang et l’équipage finit par l’adopter car avec son violon il ranime le vent défaillant. De retour au port, Roberts présente à Abel la famille du commandant Stevenson qui a disparu et aurait trahi l’Angleterre. Depuis, ses trois filles sont reniées par tout le village. Dans la maison close du coin, Miss Riordan, la tenancière, file le parfait amour avec le généreux capitaine Mc Leod mais a un secret qui la ronge. Abel comprend peu à peu malgré son amnésie qu’il détient lui aussi un secret mystérieux. Il est un des rares à voir au loin un île invisible pour le commun des mortels, le port des marins perdus. Mais qui est vraiment Abel ?
Un roman à clés, avec une véritable intrigue, un suspense qui se dessine et grandit au fil des chapitres, des destins des personnages qui se mettent en place ou ressurgissent. On est plus proche de Dickens ou d’Oscar Wilde, des Pirates des Caraïbes que de l’Île au trésor. L’écriture est riche, enlevée comme le trait d’une rare finesse qui parfois suggère, laisse au lecteur sa part de rêve. Teresa Radice et Stefano Turconi ont inclus des chansons et des bandes de films dans leurs dialogues, des poésies, des partitions. Ce Port à quatre mains sera sûrement au générique de la prochaine sélection d’Angoulême. Il a été primé au festival de Lucca 2015.
Le Port des Marins Perdus, Treize Étrange, Glénat, 22 €
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