On se doutait bien qu’il y aurait une suite depuis la demande de Riad Sattouf de ne plus figurer dans la liste des nominés du Grand Prix d’Angoulême 2016. Le festival vient de publier un long communiqué assez alambiqué et gêné sur le sujet tout en disant « aimer les femmes mais qu’on ne refait pas l’Histoire », enfin celle de la BD et du festival. Dans le style, c’est pas de notre faute, mon pauvre monsieur, difficile de faire mieux. On se dédouane comme on peut pour faire face sans perdre justement la face. Le résultat c’est que des auteures femmes vont apparaître, sans enlever des hommes (tant pis), dans la liste des nominés 2016. Et que donc Riad Sattouf pourra, on l’espère, réintégrer la liste. Une vraie bonne nouvelle ça. A regretter presque toutefois l’ancien mode d’élection ou les Grands Prix choisissaient le nouveau (ou la nouvelle) de l’année. On attend avec impatience le verdict des votes du 30 janvier. J-L TRUC
Voici le texte intégral du communiqué :
Le Festival d’Angoulême aime les femmes…mais ne peut pas refaire l’histoire (de la bande dessinée)
« La Sélection Officielle du Festival d’Angoulême 2016 ne comprend aucune femme cette année ! Comment un tel oubli est-il possible ? ».
Voilà, en synthèse, l’objet de discussions et de polémiques qui se développent depuis hier.
Sauf que… sauf qu’il faut y regarder de plus près, ou plutôt de plus haut et de plus loin en arrière.
De quoi est-il question ? De la liste des auteurs sélectionnés au titre de la désignation du « Grand Prix du Festival ».
Qu’est-ce que « le Grand Prix » ? Un prix qui vient couronner un.e auteur.e pour l’ensemble de son œuvre et sa contribution à l’évolution de la bande dessinée. En ce sens, il ressemble à l’inscription des groupes de rock au
« Rock’n’Roll all fame » ou à un César d’honneur.
Les lauréats de ces trois dernières années incarnent la nature de ce Prix. Ils se nomment, Willem, Bill Watterson, Katsuhiro Otomo, … Ces artistes réalisent des créations depuis plusieurs décennies.
Lorsque l’on remonte dans ce laps de temps pour regarder quelle était la place des hommes et des femmes, dans le champ de la création, en matière de bande dessinée, force est de constater qu’il y très peu d’auteures reconnues. Si l’on observe la bande dessinée franco-belge, qui nous est la plus proche, et que l’on regarde des marqueurs générationnels, tels que les périodiques Tintin, Spirou, Pilote, A suivre, Métal Hurlant, Fluide Glacial, … il est objectivement beaucoup plus rapide de compter leurs auteures (presque sur les doigts de la main) que leurs auteurs.
Le Festival ne peut pas refaire l’histoire de la bande dessinée.
Si l’on veut juger de l’action du Festival par rapport aux auteures au regard du temps présent, c’est vers sa Sélection Officielle qu’il convient de se tourner (elle prend en compte les livres parus pendant l’année écoulée). Pour l’édition 2016 de l’événement, celle-ci fait apparaître des créatrices dans une proportion tout à fait significative (25% des livres alors que la représentation de celles-ci parmi l’ensemble des auteur.e.s est inférieure à 15%).
Le Festival ne se contente pas de sélectionner des auteur.e.s, il les prime aussi.
Même si elles doivent tout à leur propre talent, le Festival a joué un rôle important dans l’émergence d’auteures comme Marjane Satrapi ou Julie Maroh (dont les œuvres ont été portées à l’écran et couronnées de succès).
Il promeut également des auteures par ses expositions, ses concours, ses spectacles, ses rencontres (au 42e Festival, Lisa Mandel, entourée de consoeurs, organisait avec succès une rencontre happening sur le thème « La place des hommes dans la bande dessinée » ; pour l’édition 2016, il en est prévue deux dont les intitulés sont « Les femmes dans la bande dessinée française et suédoise » et « Trait féminin, trait masculin, venez deviner qui a dessiné quoi ? »).
Le Festival constitue bien, par conséquent, un espace de débat où cette question est régulièrement abordée. Il est lui-même un acteur volontariste de la cause des auteures, qu’il ne veut pas néanmoins desservir en les catégorisant ou en s’inscrivant dans une discrimination positive, qui n’aurait pas de sens en matière artistique.
Ainsi, il y a deux ans, lorsqu’il a changé le mode de désignation de son Grand Prix en faisant élire celui-ci par l’ensemble des auteur.e.s de bande dessinée professionnel.le.s (soit un collège de l’ordre de 3 000 votants), le Festival a introduit dans la liste des sélectionnés des auteures : Marjane Satrapi et Posy Simmonds. Il se trouve que celles-ci ont recueilli très peu de votes et sont arrivées dans les dernières. C’est ainsi qu’elles ont été sorties de la liste (conformément au règlement).
Même si le Festival déplore que sa relation aux auteures puisse être considérée, en la circonstance, par le prisme réducteur du Grand Prix, il comprend très bien qu’aujourd’hui des femmes et des hommes soient sensibles à cet enjeu de la présence des créatrices dans la bande dessinée. Il comprend également que la dimension symbolique qui s’attache à lui, en tant qu’événement phare, puisse être l’occasion, pour elles et eux, de faire entendre cette préoccupation et la défense de cette cause.
Et si finalement, ce débat d’aujourd’hui permettait de la faire avancer concrètement et constituait un marqueur pour les années à venir, le Festival aurait apporté sa contribution.
En conséquence, le Festival va, sans enlever aucun autre nom, introduire de nouveau des noms d’auteures dans la liste des sélectionnés au titre du Grand Prix 2016.
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