On savait que Romain Hugault allait quitter la guerre du Pacifique, passer à un avion bien plus moderne et à réaction, plus d’hélice pour l’instant, le Grumman F-14 Tomcat. On est dans les années 80 et la Navy, l’aéronavale embarquée US va finir par s’ouvrir aux femmes pilotes de chasse. C’est à l’une des premières d’entre elles qu’est consacrée l’album, Kara Hultgreen. Anastasia Heinzl signe un scénario original et bien construit. Romain Hugault a fait le point avec Ligne Claire sur son prochain diptyque dont le héros à hélice sera le mythique Gee Bee. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC
Romain Hugault, on a dans ton album l’histoire d’un avion, le Tomcat, et celle d’une pilote qui a ouvert la porte aux femmes pour voler dans la Navy et être embarquées sur porte-avion ?
C’est le problème dans ce genre d’album. Soit je faisais une histoire fictive et je tombais dans le Topgun en BD, soit je racontais histoire vraie de cet avion, de celui-là car il avait participé à deux trucs intéressants qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Certains auraient préféré des combats aériens. Cet avion en fait n’accomplit pas la mission confiée, abattre des bombardiers russes qui défient la flotte US. Mais pas d’attaque, pas de riposte de fait. Par contre il va se frotter à des chasseurs libyens. Il n’y avait pas de quoi raconter des combats épiques style seconde guerre mondiale. Ni le mythe d’un héros à la Maverick. C’est une histoire simple mais vraie, efficace sans héros véritable.
L’avion est donc l’un des héros ?
L’angle d’attaque de l’album était que l’avion raconte sa vie. Ce qui permettait de lier les deux histoires avec celle de Kara sans faire de chapitres et on a trouvé intéressant avec Anastasia Heinzl de tourner l’album avec pour but au final que l’on s’attache à l’avion, qu’il crée l’émotion. J’ai eu des retours qui prouvent que cela a marché. L’avion comme il parle en voix off a un comportement quasi humain et les humains sont eux très pilotes de chasse. J’ai voulu garder les vrais dialogues. Le combat aérien, la retranscription des échanges entre pilotes existe.
Comment avez-vous travaillé avec Anastasia et comment est-elle arrivée dans la course ?
Je ne me sens pas encore capable d’assurer le scénario. On a travaillé à quatre mains, je n’ai pas adapté son histoire. Mais raconter, je ne sais pas si j’en serai capable. Je suis toujours intervenu sur les scénarios. Si je fais des dialogues ils sont souvent trop écrits. Je fais écrire plus que parler les personnages. Les parents d’Anastasia sont pilotes, elle aurait voulu faire une histoire d’aviatrice comme Hélène Boucher. Je faisais Angel Wings depuis des années. J’ai trouvé le personnage de Kara Hultgreen très intéressant. Je cherchais un scénariste et elle était la copine d’une amie à moi de l’atelier. Tout a fonctionné entre nous avec aussi son point de vue de non-pilote et de scénariste de séries TV. Rentrer avec un chausse-pied dans une BD, il a fallu être très resserré. Les scènes d’avion prennent de la place.
Il y a aussi l’hommage à ta maman qui s’est tuée aux commandes en atterrissant
Il y a un destin, des signes forts et quand je dessinais le Tomcat qui va se crasher j’avais les larmes aux yeux. C’était un peu compliqué.
Le début est très astucieux.
Quand on voit qu’on va mourir on dit que sa vie passe devant ses yeux en une fraction de seconde. C’est le postulat de départ, le Tomcat est en phase d’appontage mais qui parle ? On voulait dérouter le lecteur. L’histoire était connue mais quand même.
Plus le combat des pilotes femmes dans la Navy pour intégrer la chasse au combat.
On est en 94 et en 1986 quand Kara est brevetée, la chasse dans la Navy et sur porte-avions donc au combat est encore interdite aux femmes dans la Navy. Elle va se battre et obtenir gain de cause en 93. Ce n’est pas un album féministe. L’après de la mort de Kara a été un peu horrible. « On vous l’avait bien dit que ce n’était pas fait pour les femmes » alors que les reconstitutions sur simulateurs ont prouvé que les meilleurs pilotes homme se seraient crashés aussi. Le crash dure trois secondes au moment où elle va apponter et elle évite le porte-avions sauvant des vies sur le pont d’envol. Ma mère a pris un arbre au moment du toucher, ils ont remis les gaz mais trop tard.
Anastasia va te suivre sur d’autres projets ?
Non, je travaille sur un nouveau sujet plus léger, l’âge d’or de l’aviation américaine, les courses des années 30 avec Éloi Rousseau qui signe le dossier dans Tomcat. C’est un ami et il fera le scénario. Il y a tout, les circuits de vitesse, l’ascension d’un jeune homme fauché post crise de 29 qui se retrouve dans une écurie de pilotes de course sur les fameux Gee Bee R-1.
Un Buck Danny vient de sortir sur un sujet similaire avec Sonny Tuckson pour héros.
Quand j’ai fait ma première recherche je suis tombé sur la couve de cet album. Et alors ? Ça ne m’empêchait pas de faire le mien avec le premier mot qui me vient l’esprit pour un avion de course, la vitesse. Je ne critique pas le travail des autres. Quand j’ai commencé à parler de Tomcat sur ton site je crois, Yann l’a lu et me dit qu’il bossait aussi sur l’histoire de Kara. Donc improbable mais c’est le hasard.
Un one-shot pour le Gee Bee ?
Non deux tomes, les années 30 à 40, humour, mafia, un ton plus léger mais des personnages fictifs, un mix et hommage aux films hollywoodiens de ces années là très Art-déco. Je te dirai le titre plus tard mais je peux te montrer des planches.
Ah oui, très sympa, très riche en décors, en personnages (embargo pour l’heure).
Fun, et retour à l’hélice même si j’ai adoré faire Tomcat. Je m’amuse avec ça. J’ai passé une journée à faire une rue.
Tomcat c’est un un huis-clos avec deux personnages, un métallique et un humain.
J’ai pris beaucoup de plaisir avec Tomcat et pas mal de gens pensaient que je ne serai pas capable de faire des jets. Je ne savais pas en fait ce que je ferai après Tomcat. Maintenant oui. J’ai beaucoup de boulot plus ma famille, deux collections à faire pour la Monnaie de Paris, les affiches de meeting. Il faut que j’avance mes albums, qu’ils sortent à la bonne date. Tomcat va se retrouver sur le marché US de la BD, on va voir ce que cela donne. Je reviendrai peut-être au réacteur, j’aimerai traiter la guerre d’Indochine française. Je te l’ai souvent dit. Après Tomcat je voulais faire quelque chose de plus coloré et j’adore le Gee Bee, un avion très dangereux. Mais les meetings aériens en 1930 rassemblaient des centaines de milliers de spectateurs. Je me plonge dans l’époque, ses images, c’est très immersif et bosser avec un ami cela fait du bien aussi.
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