Olivier Grenson a choisi pour Le Partage des mondes le cadre du Blitz, en 1940, les bombardements acharnés et meurtriers sur les civils londoniens par l’aviation allemande, en représailles d’un raid anglais sur Berlin ordonné par Churchill. Avec à la clé la célèbre Bataille d’Angleterre. Deux personnages se rencontrent, Isaac monsieur d’un certain âge, Mary une petite fille perdue dans la foule des réfugiés. Par le dessin, l’image, le récit et les textes, Grenson signe un ouvrage qui lui appartient totalement et montre à nouveau son grand talent de créateur. Il s’est confié à Ligne Claire à Paris de passage au Festival du Livre. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Olivier Grenson, l’environnement de 1940, le Blitz, les bombardements allemands sur Londres, pourquoi ce choix de décors pour cette histoire ?
Le point de départ c’est le conte. Je l’ai d’abord écrit. Je me suis demandé quel allait être l’environnement. J’ai très vite pensé au Blitz mais je ne sais pas pourquoi l’idée de cette période m’est venue. Peut-être parce que je trouvais intéressant de placer les personnages dans un contexte particulier en dehors du quotidien, leur permettre d’avoir des réactions inhabituelles.
C’était une période que vous connaissiez particulièrement ?
Non, rien, j’ai pensé à Londres, je voulais une période de guerre. Le Blitz on en parle peu ici. Je me suis rappelé que dans les années 90 je faisais des rêves de bombardements dont je me souvenais alors que ce n’est jamais le cas. Je me trouvais dans des rêves très réalistes et ne pouvais expliquer pourquoi. Le choix est venu malgré moi comme point de départ. Je me suis documenté. Et j’ai trouvé un terrain favorable pour mon histoire. Et il y a des éléments qui me reviennent en mémoire. Vers 8 ans j’avais tiré au sort à l’école un sujet d’élocution sur la deuxième guerre mondiale. Mon grand-père m’avait aidé. D’où ce personnage d’Isaac peut-être aussi.
On a un conte en double ou un double conte. La rencontre de Mary et d’Isaac plus le conte avec Rebecca et Jonas imaginé. C’est une belle histoire, tendre et émouvante. Elle vous tenait à cœur ?
Oui, c’est ma façon de voir la vie, les choses. J’avais envie de mettre en place plusieurs strates de narration, mêler la grande Histoire à une histoire fantastique, des couleurs très différentes et l’idée d’aller vers l’humain, le partage, la transmission. Que ce soit une ode à la vie.
Une ode au bonheur également dictée par le hasard avec de bons personnages, des gentils. Il y a le bonnet rouge de Mary qui permet de bien la situer dans les images.
Le cheminement de l’écriture est aussi une improvisation. J’ai une idée de l’histoire quand je commence. Je pose mes idées, Mary perdue, Isaac et cette blessure de la perte d’Eva sa femme mais je ne sais pas obligatoirement où je vais. Ce qui m’importe c’est la transmission, comment Isaac va raconter le conte. Ce qui rejoint comment moi je raconte une histoire par le biais de la BD. Isaac est maladroit, crée un suspens. Mary ne comprend pas tout.
Vous glissez vos propres ressentis et voulez les faire partager.
J’aime l’idée du partage, deux générations différentes qui vont s’échanger un regard sur la vie. Isaac est au bord de la rupture, n’a pas eu d’enfant et ne pense qu’à rejoindre son épouse. Et Mary qui est l’enfance, la pureté mais a aussi une certaine naïveté. Ma mère avait six ans à l’époque en 1940, avait vécu l’évacuation vers le sud de la France, l’attaque des Stukas, des morts sur la route. Elle m’a parlé de cette naïveté d’un enfant face à la mort.
Mary va jouer aussi un double rôle. Elle ne dit pas vraiment qui elle est, un peu ambiguë.
Elle est dès le départ dans un monde imaginaire que je représente par ses rêves. Dans l’enfance on n’appréhende pas le réel, ce qui est beau. C’est quoi la vrai vie.
Elle voit des ballons de protection aérienne qu’elle prend pour des éléphants.
C’est son monde, surtout pas celui de l’adulte, un symbole de la force de l’imaginaire. Cela nous sauve, un refuge. Le conte est salvateur.
Vous avez écrit le scénario d’une traite ?
J’avais une idée globale. Je voulais de la cohérence et que le conte de Rebecca ait une fin. Qu’il puisse tenir seul, qu’il ait du sens avec un regard sur les civils et les enfants qui subissent la guerre. Plus un axe sur l’écologie car Isaac a été jardinier, a une petite graine avec lui.
Isaac est un brave type, presque le Père Noël.
Tout à fait. Le mot est le bon car pour créer Isaac j’ai fait plein de croquis. Et ce côté Père Noël à qui on ne peut que faire confiance est apparu.
Comment est arrivé dans l’histoire cet arbre rare le ginkgo biloba ?
Il fallait un arbre où les oiseaux venaient se poser, où leur couleur était celle de l’arbre. On croit ainsi que l’arbre est mort. J’ai cherché et je suis tombé sur le ginkgo, arbre millénaire. Le nom m’a séduit et c’est la doc qui m’a aidé.
On retrouve la grande Histoire, Churchill, le 8 mai 1945 avec un déroulé précis depuis 1940 à la Victoire.
J’ai beaucoup lu sur le parcours de Churchill. J’ai fait coïncider les bombardements avec la rencontre de Mary et Isaac. Comme je me suis servi légèrement de la mythologie nordique pour l’arbre. En avançant il m’est apparu évident qu’il fallait un travelling avec des moments clés comme la mort d’Hitler, ou Goebbels qui tue ses enfants pour parler de l’autre côté, de l’horreur et de Churchill bien sûr avec le Blitz et la Bataille d’Angleterre.
Combien de temps pour le faire cet album ?
J’ai commencé il y a neuf ans. J’avais déjà toutes les pistes dans un carnet. J’ai fini Koda, j’ai fait le XIII Mystery, on a fait La Fée assassine avec Sylvie Roge. J’ai mis ensuite deux ans et demi pour le découpage et deux ans de plus pour le faire.
Tout est en traditionnel.
Absolument. Papier, crayonné, aquarelle, couleur directe. Comme je pars souvent en voyage je prends des petits carnets avec moi. J’écris sur des feuilles A4 pliés en deux, les esquisses d’Isaac je les ai faites en Thaïlande.
Pour le père de Mary on va découvrir comment il est mort.
Oui mais il y a un lien avec ce qu’il faisait et le Blitz. L’idée est d’être là où on ne m’attend pas au niveau du récit. Eviter l’évidence, trouver un axe qui surprend, non convenu. Il y a des pages sur le père de Mary qui ne sont pas dans l’album comme d’autres séquences par exemple sur Eva et Isaac. J’ai choisi, je garde l’essentiel. Le dessinateur fabrique un iceberg dont le lecteur ne voit que la pointe. La partie invisible donne la consistance au personnage.
Ils sont tous attachants ces personnages. Du début à la fin. On sent la fin quand même.
C’est comme dans une course relais, le titre Le passage des mondes face au partage du monde après la guerre entre Staline, Churchill et Roosevelt.
Et maintenant, après ce Partage ?
Je suis sur le prochain album, scénario de Sylvie comme pour la Fée. Cela va être très différent de tout ce que j’ai fait. Son écriture aussi. On sera avec une adolescente de 13 ans dans une région viticole du Sud de la France, le Gard peut-être. Sa mère tient l’auberge du château. Son père s’occupe des vendanges et elle s’ennuie. Le seul endroit où elle se sent bien c’est le cimetière. A suivre…
Vous avez des expositions avec Le Partage ?
A Bruxelles en mai, à Blois en novembre une double expo dont une au Musée de la Résistance.
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