C’est un hymne au polar noir, un hommage avec tous les ingrédients indispensables, Quelque chose de froid (Glénat) écrit par Philippe Pelaez et dessiné par Hugues Labiano est une synthèse sans faille. Le cinéma des années 40 à 50, en noir et blanc, Le Grand Sommeil, Bogart, la Série Noire, le duo a rebattu les cartes pour faire de cette partie de poker menteur un modèle du genre. Hugues Labiano a répondu aux questions de Ligne Claie sur son dernier polar, une genre dont il ne s’est jamais vraiment éloigné mais qui cette fois lui permet aussi de s’approprier avec tout son talent un sujet parfaitement dessiné et découpé. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC
A noter qu’après celle rétrospective en novembre 2022, la Galerie de la Bande Dessinée propose à Bruxelles, du 14 juin au 13 juillet 2024, une nouvelle exposition consacrée aux planches originales de Hugues Labiano.
Comment avez-vous monté le projet Hugues Labiano, faire cet album qui est un hommage au film noir ?
Oui c’était le but. Le projet existait car c’est une passion commune entre Philippe Pelaez et moi pour le polar. Il est prof à la Réunion et donne des cours sur le cinéma. Quand j’étais jeune à Paris le peu d’argent que j’avais je le mettais dans des salles d’arts et d’essai où j’ai vu à peu près tous les grands polars noirs des années 30 à 50. Une culture commune et on s’est rencontré à La Réunion au festival BD il y a douze ans. Il avait envie de travailler avec moi et il m‘a proposé ce scénario, Quelque chose de froid, déjà écrit donc pas du tout écrit pour moi. Quand je l’ai lu, face à sa puissance je me suis dit qu’il fallait que je le fasse. On ne s’est pas dit qu’on allait faire un grand œuvre sur le polar, tout est venu naturellement, simplement.
Vous êtes passé chez Glénat, changé d’éditeur ?
Tout simplement parce que j’étais déjà sur le Lion de Judas chez Dargaud, donc pas disponible. J’ai dit à Philippe de proposer Quelque chose de froid, lui tout seul aux éditeurs, le script, mais en donnant mon nom comme dessinateur. Le projet a excité tout le monde, les éditeurs se sont battus et on a pris Glénat car leur directeur littéraire nous a semblé le plus motivé. On a choisi Glénat sur sur le critère du désir.
On est là sur un projet à la fois atypique et classique. Le film noir ce n’est pas une nouveauté, les Bogart entre autres. Dans votre album il y a tous les critères. De la vengeance au plaisir. Tu as toujours été marqué par le polar dans tes albums ?
Le polar ultime c’est Le Grand Sommeil. C’est le genre littéraire que j’ai le plus pratiqué, que je connais le mieux. Depuis l’âge de vingt ans, le noir et blanc, le Ciné-club à la TV le dimanche. Mais c’est vrai que Quelque chose de froid est mon premier vrai polar. Dans Dixie Road j’avais un peu suggéré le côté polar à Duffaux.
Vous avez eu le scénario clés en mains.
Il existait déjà donc c’était parfait. Par contre il y avait une idée, celle de la trilogie. Quelque chose de froid est le premier album d’un triptyque, des albums qui se passent de dix ans en dix ans. Ce projet en parallèle existait avant notre collaboration. Quelque chose de froid est un one-shot qui se lit seul. Dans la trilogie noire chaque album sera indépendant, pourra se lire seul mais un ou deux personnages se croiseront sans plus en 1936, 26 et 46. C’est une sorte de série sans l’être qui n’angoissera pas le lecteur pour savoir la fin au bouts de plusieurs années. On traitera trois styles de polars. Un polar urbain avec Quelque chose de froid, un polar ambiance sudiste en Géorgie, et le dernier à Las Vegas de Bugsy Siegel, de la maffia.
Dans Quelque chose de froid ce qui est bluffant c’est le découpage et des couleurs monochromes dans le ton du cinéma de l’époque. Un peu de rouge pour le sang et le feu. Et une vraie recherche sur votre façon de travailler qui a vraiment évolué.
Maffre aux couleurs a fait un très bon travail. L’aspect est aussi moderne et vivant, nostalgique. J’ai toujours une recherche sur mon dessin. C’est l’avantage d’être autodidacte, je connais les règles mais je fais les choses comme je les ressens. J’avais envie de montrer autre chose, évoluer. Je doute et j’avance.
Votre dessin même si on l’identifie continue à surprendre. Les ambiances sont terrifiantes.
Le scénario est bon, bien écrit avec une recherche sur le mot. Je n’ai rien touché. On parle de film noir mais à la même époque il va y avoir le roman noir, la Série Noire donc on lit presque le texte dans cette BD, la voix off, l’image le soutient. A la fin de l’album il y a un dossier complet de Philippe Pelaez sur le film noir. Les frères Coen avec Fargo c’est la référence actuelle et L.A. Confidentiel un hommage.
La fin est tordue sans en dire rien de plus, la dernière image est grandiose.
Cela n’a pas été simple, on est à un ½ mm près. Car le héros a une bonne gueule. La suite. Il faut découvrir la galerie des portraits de l’album. J’aime bien les personnages à facettes. Il y a une part psychologique, introspective et Eliott Ness va faire de la figuration car il est chef de la police de Cleveland e 36 après avoir eu Capone. Les deux flics sont bien ceux qui ont traqué le torso killer.
Votre héros Hedgeway a un compte à régler avec son ex-patron et le scénario est finement bâti.
Oui il va charger et sa vengeance sera subtile. C’est un enchainement fin et machiavélique. J’ai travaillé mon noir et blanc donc le tout a pris du temps, très graphique en épurant, ne pas mettre top de décors. Je suis évasif sur la ville. J’avoue que l’échec du Lion de Judas m’a marqué. Là je suis sur le tome 2 et j’ai fait dix pages.
Pas de projet en parallèle ?
Non je fais les trois albums d’affilés. Après j’ai une possibilité de projet dont je ne peux pas trop parler. Deux scénaristes connus me l’ont proposé mais quand ? On serait plutôt au XIXe, James Bond en décalé. Aucune idée vraiment de l’avenir. J’espère vraiment que Quelque chose de froid va bien marcher. Il ne peut pas laisser indifférent. Il sort le 6 mars 2024 et il y aura un grand format noir et blanc chez Glénat et un tirage spécial fait par la Bulle du Mans où l’album sera présenté en mars officiellement.
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