Ils sont trois, Vincent Brugeas, Ronan Toulhoat et Yoann Guillo. Ils jouent si l’on peut dire dans la même cour et signe de concert, à part égales Cosaques paru au Lombard. Scénario bien sûr de Brugeas, mais partage appuyé par la couleur devenu essentielle pour le dessin avec Toulhoat et Guillo. Un album à la fois expérimental et atypique qui étonne, séduit, interpelle. Les trois auteurs ont répondu avec passion sur leurs intentions, leurs projets à Ligne Claire pendant la dernière Foire du Livre à Paris. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC. (Un grand merci à Ronan Toulhoat pour les documents qui illustrent grâce à lui cet article).
Comment vous êtes-vous à la fois plongé à la suite de ces Cosaques et avez mis en place une structure de travail qui réécrit le principe de conception d’une BD ?
Vincent Brugeas : Un jour j’ai lu un article sur les Cosaques, pirates domestiqués. C’était très court avec l’interview d’un historien ukrainien sur ce sujet. En résumé les Cosaques sont des cow-boys toute l’année, pillent la steppe et l’été s’embarquent pour des razzias sur les côtes de la Mer Noire. J’ai vu le potentiel, seul dans mon coin et j’en parle au Lombard. Je raconte ça à Gauthier directeur éditorial qui me demande de faire ce sujet. On avait un groupe qui était en train de se monter avec Ronan et un autre dessinateur qui a quitté l’aventure d’où du retard. Ronan ne pouvait pas assumer l’album tout seul et Yoann est rentré dans le jeu.
Ronan Toulhoat : En fait, le projet était en latence et on avait beaucoup de discussions avec Yoann sur l’importance de la couleur en BD. Dans la narration des pages et pour son aspect commercial, vendeur. Il ne nous semblait pas normal que le coloriste ne soit pas considéré comme un auteur. J’ai pensé qu’il y avait un coup à jouer avec ce projet en attente au Lombard et je lui ai proposé d’en faire un laboratoire, de montrer que la couleur peut être bien plus que ce qu’on la considère aujourd’hui.
La couleur en élément porteur, moteur du dessin et donc de l’histoire ?
R.T. : Totalement inscrite dans les objectifs et je lui ai proposé de prendre plus de place à la couleur que moi au dessin. Ma spécificité est le dessin des personnages. J’en reste là. Après le story-board je dessine sobrement les personnages, sans rajouter un encrage fort. A Yoann de s’occuper des décors, les ambiances, les atmosphères.
Alors, justement, comment avez-vous travaillé à quatre mains ? Le fond, c’était quoi, décors ou personnages ?
R.T. : Ce que je donne c’est le dessin des personnages avec une esquisse des décors, l’avant-plan. On se met d’accord sur l’ambiance de la scène, pluie, jour etc.. A Yoann de bâtir l’atmosphère pour faire monter la narration en puissance.
Au niveau du scénario, on reste dans du classique ? Ou est-ce que cela change l’écriture ?
V.B. : Non parce qu’il était déjà écrit. J’ai eu un autre problème, un changement de format, 70 pages et Le Lombard est parti sur moins pour plus de parutions. Donc j’ai réécrit plusieurs fois, je ne rentrais pas et on a fini par faire un 62 pages. Mais ce n’était pas lié avec la structure graphique. On voulait du paysage, de l’aventure.
Oui, vous galopez vite dans cet album.
R.T. : En amenant avec Yoann de la lumière.
Yoann Guillo : Je me suis vraiment cassé la tête sur quoi faire dans cet album. C’était un labo.
Et vraiment une première ?
Y.G. : C’est moi qui ait passé le plus de temps sur Les Cosaques avec plein de choix narratifs, de finitions. Il y avait toujours un dessinateur qui avait ce rôle dans un schéma classique. Un directeur graphique, et au final c’est moi qui avait cette responsabilité. Avec Ronan on a dans notre démarche expérimentale, on a presque fait une inversion. Le dessin met en valeur la couleur.
Une démarche pas banale.
Y.G. : Du coup je me suis demandé ce que je pouvais me permettre sur le dessin de Ronan. Maintenant, avec les retours positifs, je pense que je peux aller plus loin. Les Cosaques c’est l’aventure, la liberté, les passages. On voulait toute la force des dessins de Ronan en allégeant. Il n’y a pas de bord de pages.
Cela apporte une autre puissance, en effet, à ce qu’on a l’habitude de voir.
R.T. : Ce qui m’intéresse dans un album c’est que le dessin, couleur comprise serve au mieux le scénario. On raconte avant tout une histoire qui doit être immersive. Je ne veux plus croire à cette idée que l’on a du dessinateur en BD franco-belge en haut de la pyramide en oubliant l’album.
Y.G. : C’est l’album qui est au sommet. Et si on doit mettre notre ego de côté pour aller vers un concept, il faut le faire et on s’est mis d’accord là-dessus.
Oui mais Vincent et Ronan, si l’on peut dire, forment un vieux couple. Donc ce n’est pas évident de jouer à trois. On sent toutefois votre complicité dans Les Cosaques.
V.B. : C’est Ronan qui a fait la liaison. Je ne faisais pas de retour en fait. Sur le tome 2 l’avis de Yoann sur le story-board m’intéresse. Un troisième œil. Quand j’écris un scénario je me demande ce que le dessinateur a envie de faire ou pas. Avec le travail à abattre pour la couleur, Yoann devait être d’accord.
Y.G. : Avant de faire de la BD j’ai une formation en communication visuelle, la publicité. Je peux mettre en place mes acquis, la cohérence de concept, de lisibilité.
C’est plus de liberté ?
Y.G. : Oui et on sort de mon rôle de coloriste classique. J’aime beaucoup. Je peux me prononcer sur le story-board, voir si une case s’enchaîne mal, confirmé ou pas par l’éditrice. On travaille comme ce que l’on a mis en place pour Goldorak. On est au service du résultat. Notre dialogue a bien fonctionné avec Ronan. J’aime essayer de voir si on peut aller plus loin.
R.T. : Pour que cela fonctionne, il fallait avoir confiance dans le professionnalisme de chacun et de parler de tout en amont. Il faut aussi une envie de départ et de faire mieux. On est des gamins dans un bac à sable et on s’amuse.
V.B. : Yoann ne participe pas à la réalisation du story-board. Il arrive à la fin. Yoann doit avoir un œil neuf. On garde des structures de travail à chaque fois à deux.
R.T. : On sait où notre rôle s’arrête. Et on a confiance dans l’autre. On se pose les bonnes questions dès le départ.
Quelles techniques utilisez-vous ?
R.T. : Le numérique totalement.
Il y a un héros atypique, traître aux yeux de certains, Karlis, suivi par des recruteurs avec une part romanesque, plus la vision de ce qu’est le Cosaque.
R.T. : Il y a l’aventure slave, un peu comme vous le disiez à la Michel Strogoff.
V.B. : On découvre le monde des Cosaques par petites touches et l’importance axé sur les trois personnages principaux, Karlis, Zahra et Sachko. Zahra est la cynique. Sacko idéalise et Karlis débarque, pourrait paraître lâche mais fuit pour respecter ses principes. Il est au contraire courageux.
Dans vos scénarios vous parlez toujours de société, d’environnement, d’idéal. C’est un fond récurrent chez vous.
V.B. : Oui un peu comme un cinéaste qui a la même thématique de film en film. Je mets en scène mes idées des Pirates aux Cosaques. On a nos marottes et tout dépend comment on les traite. Avec Cosaques le héros est doué mais n’a pas l’esprit guerrier. Il a un côté Thorgal célibataire, un peu niais.
R.T. : Avec une formation de hussard. On veut montrer que la guerre le rebute.
V.B. : Il est catastrophé par ce qu’il doit faire comme hussard.
R.T. : Yoann en a une bonne définition. C’est un peu comme nous occidentaux qui vivons dans un monde protégé d’un seuil coup confrontés à une réalité violente. On ne savait pas que l’album sortirait à un moment comme aujourd’hui avec ce qui se passe en Ukraine.
Un Cosaque ce n’est pas qu’un guerrier.
V.B. : Ce sont des mercenaires mais qui sont aussi des éleveurs et excluent cependant les femmes. Pourtant Zahra est là. Le tome 2 sera plus explicatif sur le personnage. On aimerait bien partir sur 4 ou 5 tomes. L’idée est d’avoir chaque fois une fin de la trame narrative commencée, reprendre le canevas des vieilles séries à la Blueberry. On suit un personnage comme Karlis, on le voit évoluer. Je finis d’écrire le tome 2.
R.T. : Il est story-boardé, crayonné et la page une est faite.
Y.G. : A moi de me casser la tête et j’ai trouvé la direction en évitant les doutes. La méthode peut évoluer.
Vous apportez vraiment une vision neuve au résultat probant.
R.T. : Je vais plus loin. Le travail de Yoann est sublime. On est dans l’idée d’avoir le meilleur résultat possible avec le mélange du travail de chacun. On voulait trancher graphiquement et élargir les cadres.
Y.G. : J’ai eu la chance dans mes albums de travailler avec des auteurs qui m’ont laissé libre. Et j’ai surpris. Ma démarche n’est pas que mettre des couleurs dans un album mais de voir jusqu’où on peut aller, ce qui plait.
Vous avez d’autres projets en commun ?
V.B. : On a un projet chez Dargaud qui se passe au Moyen Age, Tête de chien, des chevaliers qui vont de joute en tournoi. En Champagne à l’époque du Roy des Ribauds avec 120 pages et des chapitres de 20 pages. Et le héros sera une femme qui combat avec un bouclier à tête de chien. Comment va-t-elle s’intégrer, quelles sont les vraies valeurs pour la chevalerie ?
R.T. : Yoann va amener beaucoup sur les ambiances, l’efficacité graphique. Il est impliqué comme nous dans le projet à trois.
Donc vous avez deux séries en trio, la suite de Cosaques et Tête de chien.
V.B. : Si dans Cosaques Yoann c’est 70% et Ronan 30, on passe dans Tête de chien et on inverse. On cherche encore autre chose sans ego dans l’équation.
R.T. : On a un dernier projet chez Comix Buro avec Brice Cossu et Alexis Sentenac qui en sera le directeur artistique, qui a donné les bases de l’univers. Vincent a fait le scénario des trois premiers tomes, Brice fait le story-board et le crayonné, moi j’encre et Yoann la couleur. On reste dans le collaboratif avec l’idée qu’à plusieurs on est meilleur. Le nom serait T.E.Q, la Terre en question.
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