C’est du Kafka dans le texte avec tout ce que cela comporte de finesse nécessaire (et évidente) dans son adaptation en BD. La Conférence est donc tirée du Rapport pour une Académie, monologue d’un singe devenu homme face à des humains chenus censés être de grands esprits et qui lui ont demandé de venir s’expliquer sur sa métamorphose. Un thème très kafkaïen connu aussi pour un cursus dans l’autre sens, homme vers insecte. Mahi Grand a mis en scène cette très ironique mais aussi fascinante démonstration qui retrace un parcours ni plus ni moins que similaire à celui de l’humanité. Sauf que c’est un singe capturé qui a su évoluer et dépasser ses maîtres, comprendre avec une lucidité qui leur fait défaut qu’il s’est fondu dans un moule par choix mais sans illusion. Du grand art car on savoure le discours de Franz Kafka sans ambiguïté illustré non sans humour par Grand.
Un homme vient plancher à l’Académie devant ses membres. Un homme riche, élégant qui va dire, raconter à ce parterre choisi comment de singe de la forêt il est devenu un humain parmi d’autres. Cigare aux lèvres, il commence déjà par signaler son regret que le temps ait passé depuis son ancien statut de singe, sa condition simiesque. Cinq ans où même bien entouré, il a été seul, ne s’est pas accroché à ses origines, à sa jeunesse. Elle est loin sa vie de singe mais il rassemble ses souvenirs depuis sa capture dans la jungle à aujourd’hui où il est une vedette internationale de cirque. On ne nait pas homme, on le devient, c’est Érasme qui l’a dit. Blessé, embarqué dans une caisse puis un cage, il va s’adapter, chercher une issue mais pas obligatoirement la liberté. L’équipage va faire de lui son spectacle favori et lui suggérer qu’après tout il pourrait devenir comme eux. A lui de s’engager sur le chemin de l’humanité.
Un singe a fait sa révolution, s’est remis en cause, renié son passé primitif. Une bouteille de rhum qui va lui donner du mal, à lui l’élève attentif qui finit par se mettre à parler. L’Allemagne où il sera dressé par un professeur qu’il rend fou, le cirque où il est la vedette, la culture avec ses enseignants, l’Amérique, mais faut-il un retour aux origines pour encore mieux s’intégrer ? Pas un instant de lassitude dans ces planches, à la suite de ce héros sérieux, accompli et parfois désinvolte. Le trait de Mahi Grand dont on avait aimé le travail dans L’Algérie c’est beau comme l’Amérique signe là un album en solo qui a toutes les qualités des grands moments de BD par sa concision, sa force sans esbroufe, une intelligence des mots.
La Conférence, Dargaud, 19,99 €
Articles similaires