Trente ans après, Jason Fly, alias XIII, a toujours la mémoire qui flanche. Le héros de la série mythique créée par Jean Van Hamme et William Vance en 1984 ne se souvient plus très bien de son passé même si en vingt-trois albums il en a reconstitué une partie et retrouvé son nom. Pour cet anniversaire, en 2014, le héros trentenaire a droit à tous les honneurs. Une occasion de revenir sur le phénomène XIII avec les maîtres d’œuvre de ses aventures et de son avenir. Ce dossier signé par Jean-Laurent TRUC a aussi paru dans le magazine ZOO de décembre.
« Ce sont les talents conjugués de Jean Van Hamme et de William Vance, les « pères fondateurs » de la série qui forment la base de la longévité de XIII ». Yves Sente qui désormais accompagne au scénario le destin du héros amnésique est formel. Un hommage bien sûr mérité d’autant que Vance était déjà à l’époque un dessinateur reconnu avec Bruce Hawker, Bruno Brazil ou Bob Morane. « XIII, c’est une quête d’identité » poursuit Sente qui en a repris le second cycle dont le tome 23, La Flèche de Wanpanoag, va sortir. Jigounov est au dessin. On pourra toujours suggérer qu’un certain Robert Ludlum, avec son best-seller La Mémoire dans la peau, avait ouvert la voie au genre dans les années quatre-vingt. « Au tout début peut-être il y a une petite similitude mais Bourne ce n’est pas Jason Fly. On change de registre. On s’attache à XIII qui n’a envie que d’une chose, mener une vie normale ».
Un destin miné
C’est vrai qu’il attire les ennuis Jason Fly. Il a un destin en forme de champs de mine. Et c’est ce qui a plu à ses lecteurs depuis trente ans, ceux qui le suivent avec une fidélité à toute épreuve. « Le lectorat de XIII est avant tout constitué de gens qui ont accroché avec la série et continuent à attendre avec impatience de savoir si il retrouvera un jour toute sa mémoire. Son public s’enrichit de nouveaux lecteurs mais pas beaucoup d’ados plus proches des séries TV. Ce n’est pas un public intergénérationnel », poursuit Yves Sente. Mais côté souvenirs-souvenirs, XIII ne refera jamais le plein de ses neurones car ce serait évidemment la fin de ses aventures.
« J’ai découvert XIII au tome 4, Spads » se souvient Yves Sente, un titre qui marque le vrai décollage de la série. « J’ai voulu savoir ce qui s’était passé avant, d’autant que je connaissais bien le travail de Vance. Je suis devenu un fan ». Reprendre un monument comme XIII n’est pas simple. Sente est bien placé pour le savoir. « Les lecteurs étaient attachés à Van Hamme et à Vance. Dès qu’on touche aux bases, au socle d’une série culte, on perd des lecteurs. Il faut absolument », poursuit Yves Sente, « pour les reconquérir retrouver les fondamentaux ».
Pas de recette XIII
Yves Schlirf, éditeur de XIII chez Dargaud Benelux suit sa trace depuis vingt-sept ans. Comme Sente, il était déjà un admirateur de Vance et connaissait bien Jean Van Hamme qui habitait près de la librairie qu’il tenait à l’époque. Pour lui « il n’y a pas de recette XIII. La série doit sa longévité au scénario machiavélique, au côté feuilleton que Van Hamme a tracé. Il met Jason Fly dans une situation impossible et le lecteur veut savoir à tout prix comment il va s’en tirer. Avec en plus des références à des mystères contemporains comme la mort de John Kennedy. Le dessin de Vance collait bien sûr à l’ambiance ».
Pas de recette mais un contexte quand XIII fait ses débuts, celui proche de la fin de la guerre froide avec toujours des affaires d’espionnage, des complots, des coups tordus, des manipulations et aussi la publication dans Spirou à l’époque du premier tome rappelle Yves Schlirf. On ajoute le bouche à oreille, des libraires qui y croit et Dargaud qui met le paquet car il vient de perdre Astérix. XIII s’envole vers des tirages qui vont atteindre 500 000 exemplaires avec l’épisode dessiné par Giraud, un coup éditorial qui vaudra son pesant d’or. Au total treize millions d’albums du premier cycle seront vendus.
XIII Mystery prendra le relais. « C’est une idée commune avec Jean Van Hamme au moment où il voulait arrêter XIII. Il ne fallait pas le laisser partir, trouver un moyen. Pourquoi pas des albums sur les personnages secondaires dont on dévoile les origines ? Jean a passé le relais, son savoir aux nouveaux scénaristes. Et c’est lui qui écrira le scénario du treizième XIII Mystery ».
XIII ne cherche pas l’aventure
Une affaire presque de famille la saga XIII, bien travaillée, ciselée avec un cahier des charges. Pour le second cycle signé Sente dont chaque album est tiré à 300 000 exemplaires, on sait que XIII a retrouvé son identité mais pas sa mémoire. Pas de chance, Jason. Sa copine Jones n’a pas envie de devenir une femme au foyer. Reste à XIII à se souvenir si possible de sa jeunesse. Un complot de plus lui pend au nez, celui des Pilgrims du May Flower, des puritains pas sympas, les premiers Américains, prêts à tout pour mettre en place un pouvoir occulte aux USA. Jason va se lancer sur cette nouvelle piste. C’est une tradition le complot de haut niveau pour XIII. « Il souhaite redevenir lui-même et se heurte cette fois à des fondamentalistes qui ne veulent plus d’influences libérales sur le sol américain. XIII, c’est un héros que l’aventure vient chercher contrairement à un Tintin qui, lui, la cherche ».
XIII fait face aux problèmes d’aujourd’hui, plus à ceux d’il y a trente ans. « J’ai actualisé XIII qui affronte un combat où idéologie et religion ont créé un conflit de civilisation. Difficile pour les USA de conserver leur place de gendarmes du monde face à une absence de localisation territoriale définie », complète Yves Sente. Après la balade hollandaise du tome 23, on saura dans le tome 24 pourquoi la Fondation veut à tout prix récupérer des documents qui sentent le souffre. Ce qui va obliger Jason à devenir un agent infiltré si il veut libérer Carrington et Jones.
On a donc de la marge. « Il y a aussi toute la partie cubaine de XIII, Maria. Que s’est-il passé ? XIII est reparti pour trente ans », ajoute en souriant Sente. « Chaque année je relis tous les albums. J’ai remis l’histoire dans son ordre chronologique, j’ai fait une biographie, avec dates, infos. A chaque cycle, XIII doit retrouver un pan de sa mémoire. XIII est dans la tradition des héros de Van Hamme, Thorgal, Winch, qui ne demandent rien à personne et qui se retrouvent en première ligne ».
Une version comics ?
Yves Schlirf, en bon éditeur, a des idées sur le futur de XIII. « Le jour où Yves aura fait selon lui le tour du personnage on verra. Il faut peut-être envisager avec un autre duo de re-raconter la série. On a bien vu au cinéma avec Batman ou Spiderman qu’il y a avait de la matière. XIII c’est la même chose. Son univers est foisonnant, riche, bourré de pistes. Il faut aussi trouver un nouveau public et c’est pour cela que cet anniversaire sera riche en manifestations, en rencontres ».
Autre piste, un concept, essayer d’adapter XIII en comics US avec équipe dédiée. Le cinéma aussi avec une option prise par les Américains depuis deux ans. Il y en avait eu d’autres avant. Toujours compliqué le long-métrage. Yves Schlirf est un éditeur heureux avec XIII sans oublier d’autres titres qu’il a à son catalogue comme Blake et Mortimer, Djinn entre autres et bientôt un western avec Dorison, Undertaker et Ralph Meyer au dessin. « J’ai toujours pensé que la série TV 24h chronos avait un petit air de XIII, les premières saisons. A croire qu’ils avaient peut-être lu les albums ». Des regrets Yves Schlirf pour XIII ? « Que Van Hamme et Vance n’aient pas pu continuer. Et que parfois le côté psychologique de XIII ne soit pas assez développé. Mais XIII Mystery avec 150 000 albums tirés par titre permet de fouiller d’avantage. Par contre, j’ai un merveilleux souvenir, celui de la fin du premier cycle avec Giraud, Vance. On aurait dit les Stones en tournée ».
XIII a, comme on dit, encore de beaux jours devant lui. Pas question non plus de faire disparaître de façon violente Jason Fly. Le personnage appartient à Van Hamme et William Vance. Eux seuls pourraient le décider ce qui est fort improbable à tout point de vue. Alors il ne reste plus qu’à suivre, avec plaisir, les suites de ce feuilleton au long cours en priant le ciel que la mémoire de XIII continue à flancher le plus longtemps possible.
Jean-Laurent TRUC
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