C’est un fait historique méconnu. En cette année de commémoration du centenaire du début de la guerre de 14, qui se souvient que les soldats du sud de la France ont servi de boucs émissaires pour expliquer la défaite du 21 août 1914, première grande bataille de la der des ders ? Les conséquences de cette injustice assassine, l’historien Jean-Yves Le Naour les racontent avec A.Dan au dessin dans un album coup de poing, La faute au Midi (Grand Angle, Bamboo éditions). Les deux auteurs étaient aux Rencontres BD d’Aix-en-Provence où une exposition reprenait par le détail le mécanisme diabolique et politique de cette tragédie. Ils ont répondu aux questions de Ligne Claire.
Quand on se plonge dans La Faute au Midi, Jean-Yves Le Naour, on a l’impression que certains provinciaux, en particulier ceux du Sud, étaient mal considérés ou avaient une réputation caricaturale ?
En fait tous ont été de la chair à canon. Cette accusation de lâcheté finalement des soldats provençaux du XVe corps avec ses terribles conséquences a été complètement occultée. Il fallait la ressusciter, montrer l’injustice et l’émotion qu’elle a engendrée. Joffre qui a donné les ordres de cette offensive porte sa part de responsabilité. On a l’image d’un grand chef de guerre mais il finira remercié. On l’élèvera quand même au grade de maréchal de France. Idem pour Foch qui s’imaginait encore que les champs de bataille ressembleraient à ceux de l’Empire napoléonien.
Donc l’armée française tombe dans un piège en août 14, quinze jours après le début de la guerre, on n’écoute pas les rapports aériens même si l’aviation est balbutiante, ni les témoignages des paysans du coin sous prétexte que depuis 1870 ils sont devenus Allemands ?
Exactement. Cette première grande bataille sera la plus meurtrière de toute la guerre. Les canons ennemis, les mitrailleuses vont mettre en pièces les soldats français dont ceux de ce corps d’armée du Midi et les Lorrains du XXe, division de fer de Foch, qui, elle, va lâcher prise. Le ministre de la guerre Messimy va dénigrer les soldats méridionaux qui pourtant ont eu le plus de pertes. Il faut des coupables. Messimy a la mentalité des révolutionnaires pendant la Terreur. Il reprend les termes de patrie en danger. Il faut couper des têtes. Il fait écrire un article dans la Matin qui accuse les soldats du Midi. Le drame se met en place.
Vous avez pu retrouver toutes les informations nécessaires ?
Tout le matériel existe. La légende noire des soldats du Midi. Je n’ai rien inventé, j’ai seulement interprété dans l’écriture des dialogues. J’ai pris comme fil conducteur l’un des deux soldats qui seront fusillés pour l’exemple, Auguste Odde. Il sera innocenté ensuite et réhabilité. Il fallait se défaire du regard de l’historien, rentrer dans la peau du personnage. Il y avait beaucoup de choses à dire.
C’est pour cela (intervient le dessinateur A.Dan) que le rôle du dessinateur est important car l’historien veut faire passer beaucoup de choses. En fait je suis le premier lecteur. Il faut éviter trop de densité dans le récit, fluidifier. Je considère que ce qu’a écrit le scénariste est une proposition et je m’approprie la mise en scène. On peut aussi prendre quelques libertés dans les décors comme celui du café que je montre. J’ai par contre refait la vue de la gare de Marseille où n’existait pas à l’époque l’escalier.
Finalement Joffre est aussi coupable de cette injustice ?
Joffre ne veut pas endosser la responsabilité de cette défaite qui sera appelée un replis tactique. C’est son plan qui s’écroule. Il voulait laisser les Allemands passer par la Belgique pour mieux couper leurs lignes en Lorraine et dans les Ardennes. C’est un échec et la guerre peut-être perdue. Mais Joffre ne pense pas que son excuse sur les mauvais soldats ira aussi loin avec arrestations, coupables, tribunaux d’exception et fusillés. Viendra s’ajouter le témoignage d’un médecin militaire qui accuse ses soldats de mutilations volontaires dont l’état-major avait peur. Il devient un auxiliaire de la justice alors qu’il doit avant tout soulager la souffrance des hommes. Tout cela est une succession de faits qui s’enchaînent, qu’on ne peut plus arrêter et ce sont les soldats qui payent. Même si les élus du Sud de la France réagissent avec force contre ce mensonge.
Aujourd’hui, est-ce qu’on revient sur la version patriotique pure et dure de la guerre de 14 ?
On a plus de recul bien sûr. A l’époque les médias, les journaux seules sources d’information, étaient endoctrinés. Il y avait la propagande. Il fallait reprendre l’Alsace et la Lorraine. On a eu ensuite les carnets de routes des Poilus qui racontaient la vérité. De héros ces hommes sont devenus des victimes. En plus la seconde guerre mondiale a joué un rôle assez négatif sur l’appréciation de leur sacrifice. Il ne devait plus y avoir de guerre après 14-18. Ils avaient donc échoué même si évidemment ils n’y étaient pour rien. La Résistance est devenue à partir de 1944 la référence effaçant leur abnégation dans les tranchées.
Il faudra une décision politique pour calmer les esprits mais le mal aura été fait.
Oui, devant la levée de boucliers provoquée par cette mascarade de justice, de fausses preuves, le ministre de la guerre sera limogé. Il finira général. Comme quoi. L’Union sacrée était de rigueur. Joffre a lui aussi fait limoger une centaine de généraux. C’est facile.
Et maintenant, après les soldats du Midi ?
Je fais un retour en arrière mais toujours dans le contexte de la Grande Guerre avec François-Ferdinand dont l’assassinat à Sarajevo sera l’un des détonateurs du premier conflit mondial, toujours chez Bamboo.
La Faute au Midi, Grand Angle, 13,90 €
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