Romancier, homme de théâtre, François Bégaudeau, pour sa première incursion dans le monde de la BD, s’est intéressé au M.O.C., le mâle occidental contemporain. Clément Oubrerie est au dessin. Une balade ethnologique pertinente et drôle d’un homme à la recherche de son présent, de cette femme qui sera peut-être, mais rien n’est sûr, son avenir comme le chantait Ferrat. (Texte de Jean-Laurent TRUC, cet article a paru dans le mensuel ZOO).
C’est un vrai clivage éducationnel. Si l’on regarde autour de soi, pour une même génération, celle des trentenaires d’aujourd’hui, les garçons ont été éduqués comme leurs pères. Les filles ne doivent rien à leurs mères. Et se comportent comme des hommes. Carrière, couple, sexualité, elles foncent et ne prennent pas de gants. Voila pour le contexte de M.O.C. dont Thomas est le héros. Il découvre, au fil des rencontres féminines, la réalité incontournable d’un monde où il n’est plus le dominant.
François Bégaudeau a voulu se frotter « à d’autres formes littéraires, à d’autres contenus et essayer de voir ce que l’on pouvait en faire ». Entre les murs, Deux singes et ma vie politique, Tu seras écrivain mon fils, au théâtre aujourd’hui avec Un deux un deux, François Bégaudeau a le talent rare de savoir, il le dit, et c’est vrai, communiquer par la littérature. La bande dessinée ne pouvait que le tenter. « J’avais réfléchi à un scénario, écrit les dialogues de ce qui allait devenir M.O.C.. Avec mon éditrice chez Delcourt, nous avons recherché un dessinateur et nous nous sommes entendus sur le nom de Clément Oubrerie ».
Pourquoi M.O.C. ? François Bégaudeau aurait préféré ce titre à Mâle occidental contemporain sur la couverture de l’album pré-publié l’été dernier dans Libération ? « J’avais envie de m’en tenir aux initiales mais la traduction a plu à Delcourt. Thomas que l’on suit tout au long de M.O.C. est un ethnologue enquêteur. Il drague, il explore, il recherche la, les femmes de nos jours dans un milieu urbain. Le vent le porte et il fait des rencontres ». Et il s’en tire comme un manche car en face de lui les femmes font plus que de la résistance. Égalité sûrement, fraternité quand elles le décident et encore. « J’ai voulu inverser les codes traditionnels, le schéma classique. Mes filles dans M.O.C. prennent à leur compte le côté typiquement offensif masculin ».
L’arroseur arrosé
D’où des situations dans lesquelles Thomas va en prendre plein la tête. Il veut jouer les chevaliers servants pour sauver une jeune femme agressée dans le métro. Un désastre. C’est elle, la victime, qui devient Zorro. « L’arroseur arrosé, ses projets se retournent contre lui », tranche Bégaudeau. « Ma première option était d’écrire une comédie. Thomas que l’on voulait quand même assez neutre physiquement appréhende les filles. Dans une comédie », continue François Bégaudeau « il y a des automatismes narratifs, un code et au bout du compte un couple peut se former. La tendresse et le comique cohabitent comme dans les comédies américaines actuelles ».
Le parcours de Thomas, ses rencontres, ce sont des séquences. Il aborde une femme, tente une manœuvre de séduction classique que l’on croirait extraite du manuel du petit dragueur en herbe version déclassée. Il a un train de retard Thomas. « Les femmes y vont carrément. Elles appellent un chat un chat. Elles font front et cela fait partie de leur émancipation ».
Thomas tire à chaque fois une leçon de ses expériences. Et se replante dans la foulée. Internet, la voisine de palier, l’ex-copine toujours accueillante, il va en rencontrer des filles tout au long de son périple dans les rues de Paris. Il y met de la bonne volonté. On le sent concerné, c’est ce qui fait aussi son charme et ajoute au plaisir de découvrir ce M.O.C. lancé tranquillement sur la piste d’un Graal qui s’éloigne toujours un peu plus. Thomas et Lancelot même combat.
Un aventurier qui trace son chemin
François Bégaudeau s’est-il identifié à Thomas ? « Pas vraiment. J’ai pu connaître certaines situations classiques que Thomas vit comme quand il prend un taxi avec une inconnue. Que va-t-il se passer, que va t-on se dire ? A une certaine période de ma vie j’ai aussi pratiqué l’abordage sauvage. Mais Thomas est un personnage neutre, qui passe partout, un réceptacle. Et ce n’est pas évident de travailler sur le neutre en fait. Thomas est inclassable, pas bourgeois, sans âge défini. Il a cependant une identité visuelle. Clément a mis longtemps à trouver son visage ».
Et c’est bien cette identité que Clément Oubrerie a eu à maîtriser. Ce qui n’a pas été simple. « François a raison. J’ai difficilement trouvé Thomas, son dessin. Je n’y arrivais pas. J’ai même été sur le point d’abandonner. C’est un personnage en fait énigmatique et cela m’a plu. Au départ j’ai eu une ébauche de l’album, quelques pages qui m’ont donné le rythme et le ton de M.O.C. » Clément Oubrerie a su s’adapter à son sujet : « je ne voulais pas refaire de que j’avais déjà fait. Les difficultés que Thomas rencontrent doivent être sympathiques, laisser une touche d’espoir ».
Le dessinateur de Pablo a trouvé son modèle au hasard d’une rencontre. « Il fallait aussi que même par un dessin stylisé on ait une évocation forte, qu’on puisse l’identifier. C’est un personnage qui m’était étranger, fictif. Qu’il existe ou pas, peu importe. En plus c’était la première fois que je faisais une BD de comédie ». Oubrerie rejoint la vision d’ethnologue de Thomas. « C’est aussi un aventurier qui trace son chemin dans un labyrinthe peuplé de femmes. Pour elles je me suis baladé dans Paris avec un carnet de croquis et je me suis inspiré de ce que je voyais ».
Le scénariste doit voir ce qu’il a écrit
L’humour décalé de François Bégaudeau, son ton subtil, « poétique » ajoute Oubrerie à juste titre, donne au vagabondage de Thomas tout son relief. « François et moi avons beaucoup échangé, ajusté. On ne doit pas s’interdire d’améliorer, modifier son style. Je le vois clairement par rapport à mes autres ouvrages ». Clément Oubrerie a travaillé ses décors très détaillés, crayonné des roughs, des esquisses au crayon reprises sur écran. « J’ai donné plus de souplesse à mon dessin ». Oubrerie et Bégaudeau avait défini une charte minimum, que le Paris de M.O.C. ne soit pas celui de carte postale du film Amélie Poulain.
Les planches ont fait des allers-retours. « J’ai découvert que mon texte, une fois dans les bulles devaient parfois être modifiés. Le son n’était plus le bon. Très étonnant de voir qu’une réplique peut tomber à plat ». Bégaudeau a une jolie formule : « le scénariste a besoin de voir ce qu’il a écrit. Comme au théâtre où je ne me m’interdis pas de modifier mon texte dans mes pièces au fil des représentations ».
Le Thomas de François Bégaudeau est un curieux. Ils ont cette qualité en commun. Il a envie de comprendre et de se comprendre tout au long de ses rencontres. Ce sont les échanges qui intéressent Thomas, tous types confondus. Il est prêt à adhérer à un parti politique. PS, UMP ? Pas sectaire Thomas. Une manif pour légalité entre les sexes, il est partant mais il n’aime pas finalement prendre des initiatives. Erreur car en face de lui les femmes y vont gaiement.
Tintin au pays de la BD
« L’avantage d’un art visuel comme la BD est sa capacité de fantaisie, de créer des mondes différents. Pour la fin de l’album je me serai bien étendu sur une douzaine de pages », avoue Bégaudeau. Quand on lui dit ou à Oubrerie qu’irrésistiblement on pense à Topor en lisant la chute de leur album, ils apprécient la comparaison. « J’ai aimé mélanger réalisme et onirisme. La plateforme est réaliste et on bascule comme dans Philémon de Fred que j’ai adoré. Je n’ai jamais été toutefois un grand lecteur de BD ».
François Bégaudeau a appliqué à son découpage, à ses séquences des principes cinématographiques maîtrisés : « La continuité est importante dans le cinéma. Toujours le poids de la séquence en plusieurs planches pour une scène. C’est un avantage de la BD. Gaston, Boule et Bill en sont des exemples parfaits. On est obligé de travailler sur l’écriture ».
M.O.C. est l’histoire d’un mec. Incontestable. « Je ne suis pas étranger à la BD de femmes. Les filles ont débarqué en BD et je suis intéressé par leur travail. Je n’en ai pas tenu compte quand j’ai écrit mon scénario ». Une certitude et on le ressent à la lecture, Bégaudeau ne regrette rien et s’est amusé : « Je n’avais rien fait d’approchant avant. Faire rentrer des situations dans ce format qu’est la BD était exaltant. Le flux devait être souple, régulier. Je suis une sorte de Tintin au pays de la BD », ajoute en riant François Bégaudeau. L’aventure va continuer. Cette fois se sera avec Grégory Mardon, un récit linéaire réaliste de 130 pages chez Delcourt avec pour décor une banlieue dans le sud de Paris.
Pour Clément Oubrerie, il y a aussi une vie après M.O.C. qu’il a été ravi de faire. Le tome 4 de Pablo, le premier volet de La Croisée des Mondes chez Gallimard, Jeangot 2 avec Sfar et, pourquoi pas, un autre album avec François Bégaudeau.
Une erreur enfin à ne pas commettre : M.O.C. ce n’est pas comment éviter de se prendre des claques en draguant. Si le principe fondamental du rapprochement des corps y est longuement et clairement évoqué, on savoure avant tout une comédie de mœurs attachante et légère, très bien construite et dessinée. Un petit bonheur rare tout en finesse.
Mâle Occidental contemporain, Delcourt, 15,95 €
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