Un changement de cap, c’est aussi une pause pour Stephen Desberg avec Les Rivières du passé, un diptyque publié chez Maghen. On en oublierait presque I.R.S. ou le Scorpion. Desberg renouvelle son jeu, abat de nouvelles cartes, montre qu’il est un scénariste au large éventail créatif. Tout ceci est une autre étape et aussi un lien, pour lui, voire un retour aux sources vers son époque Dupuis. Il aime maintenant faire de nouvelles rencontres, partir dans des directions différentes, même plus personnelles comme son projet chez Urban Comics. Desberg est revenu avec Ligne Claire sur ces Rivières du passé qui mélangent époques, mondes et genres. Tout en n’oubliant pas Le Scorpion avec Luigi Critone. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Stephen Desberg, avec Les Rivières du passé, vous vous lancez dans le fantastique, la fantaisie, l’historique ?
Oui. C’est amusant car on m’a déjà dit dernièrement cela, que c’était très différent de ce que je faisais d’habitude. En fait c’est plutôt I.R.S. qui va devenir atypique.
J’ai fait beaucoup de thrillers dans toute ma période Lombard ou chez Dargaud. Cela ne m’amuse plus vraiment. Depuis ces dernières années, à cause de restrictions diverses, j’avais envie de travailler sur d’autres graphismes et d’autres éditeurs. Ce que je signe avec Yannick n’est pas à part dans mon parcours mais au contraire ma nouvelle direction.
Vous évoluez mais quel est votre avenir de scénariste ? Vous êtes allé chez Maghen. Vous pouvez en dire plus ?
C’était logique. Pendant vingt ans on a développé des projets avec Dargaud, Lombard, classiques dans un format de 46 planches. J’ai senti le souhait au Lombard de continuer avec des séries qui me cataloguaient, m’enfermaient. Alors qu’au début de ma carrière chez Dupuis ou Casterman, j’ai travaillé sur des thèmes plus imaginatifs. Avec Will ou pour Billy the Cat, Gaspard de la nuit.
C’est votre image en fait que vous faites évoluer. Dans Les Rivières du passé, on découvre une autre facette de votre talent. Une surprise en fait. Votre scénario joue sur un double déroulement de l’histoire du monde, en parallèle. On va de l’une à l’autre grâce à de mystérieuses portes, avec des passerelles, des monstres, une enquête. Il y avait une envie de votre part de changement ?
J’ai été ravi de travailler avec Le Lombard mais il y a des cycles qui s’essoufflent avec des évolutions de direction éditoriale. Il y a eu des projets moins passionnants, avec des graphismes un peu classiques. J’ai été le premier à m’enfermer là-dedans. J’ai réfléchi sur ce que j’avais vraiment envie de raconter comme histoires. Je souhaitais travailler avec de nouveaux dessinateurs, avec plus d’émotion, m’ouvrir à d’autres éditeurs qui pensaient en fait que j’étais lié au Lombard. Il y a eu une parenthèse avec Paquet. On a essayé de monter des projets intéressants et cela a été une première étape. J’avais vraiment envie de créer avec d’autres.
Comment alors cela s’est passé avec Daniel Maghen ?
Dans le cas des Rivières du passé, on s’était rapproché avec Vincent Odin et Daniel Maghen pour d’autres projets qui ne se sont pas faits mais qui montraient que j’étais ouvert à des genres différents. Vincent Odin avait aimé les albums que j’avais fait autrefois avec Will. Il m’a dit qu’il connaissait un dessinateur qui lui faisait penser à un Will d’aujourd’hui. On s‘est rencontré avec Yannick Corboz à Paris. Cela s’est bien passé, on a échangé pour voir ce qu’on pourrait faire ensemble. Cela a donné, de façon assez progressive, le projet des Rivières. Dans mon désir d’aller vers autre chose, j’ai commencé à écrire en évitant de trop structurer, être plus transparent comme avec mon personnage féminin. Librement, sans m’imposer des ressorts. Je suis allé un peu loin. Yannick a été un peu déconcerté par l’absence apparente de structure.
De cadre ?
Oui. Il me demandait où j’allais, donc j’ai réécrit le scénario plusieurs fois à travers une collaboration très forte que ce soit avec lui ou Vincent Odin. J’ai trouvé le bon équilibre entre l’inspiration et l’efficacité.
Toute l’histoire est bien cadrée, avec des personnages qui s’affirment.
Mais plus libre et due aussi au fait qu’on est parti sur une pagination importante de 62 pages au lieu de 46 pages. Ce qui n’est pas neutre. Nous avons pu progresser, faire des détours qui informent.
Vous ne dites pas pour l’instant le pourquoi de ces deux mondes qui ont chacun leur propre histoire qui n’a pas évolué de la même façon ?
Tout à fait, on y viendra. On est en 2016 pour l’un mais dans une civilisation moyenâgeuse. Pour le second on est toujours en 2016 et dans celle que nous vivons aujourd’hui. Mais il va falloir aller chercher ailleurs depuis Paris les réponses à toutes les questions posées.
Avec un personnage atypique le chevalier Cerf ?
Lui ne fait que passer. C’est le Maître de la Peur qui est le leader. L’idée de plus en plus apparente et développée, c’est que leur monde a suivi une autre évolution. En fait la peur a été le moyen de contrôle un peu comme dans Au Nom de la Rose. Il y a les monstres, les Shayks qui maintiennent les gens à leur place et bloquent leur évolution par la peur mais cela va déraper.
Ce qui soutient aussi le récit est l’opposition entre polythéisme et monothéisme, un enseignement que l’on a moins aujourd’hui mais que nous avons eu enfant. Une grande partie de notre Histoire a été interprétée à partir de cette logique. De nos jours on en revient. Les polythéismes se respectaient les uns les autres avec les mêmes dieux. Le monothéisme est exclusif. Un dieu unique est opposé par nature au polythéisme mais aussi aux autres monothéismes. Cela amène intolérance et débordements qui peuvent conduire à cette notion de peur.
Vous glissez un mystère dans l’intrigue avec le fil rouge d’un médaillon égyptien baladeur.
Oui, je le relie à Akhenaton qui était un être fascinant, une lumière spirituelle, presque un précurseur du christianisme. Le retour ensuite aux origines à l’ancienne religion montrerait les manigances des prêtres pour retrouver leurs privilèges. Pas sûr du tout que ce soit cela. Il pourrait aussi y avoir une logique avec la fuite des Juifs d’Égypte puis le Christianisme
J’en parle aussi dans le nouveau cycle du Scorpion. Ce sont des théories développées par des archéologues israéliens. Le personnage de Moise serait un fondateur du peuple d’Israël mais pas un personnage qui intervient au milieu de l’histoire biblique. L’exode d’Égypte serait en fait celui des fidèles d’Akhenaton pour pouvoir continuer à pratiquer leur foi. C’est une théorie et un sujet que je trouve passionnant. Ce n’est pas dire que ce sont des vérités mais de penser qu’elles auraient pu avoir telle ou telle conséquence.
Vous jouez aussi sur des anachronismes avec un Paris moyenâgeux en 2016 où on tire à la mitraillette ce qui pourraient provoquer des interférences d’un monde à l’autre ?
Oui. Je pense que vous aurez dans le tome 2 des réponses très claires. On ne va pas abuser des passages par les portes.
Le monde d’aujourd’hui, le nôtre, peut influencer l’autre ? Ou le contraire ?
Celui du Seigneur de la peur se détruit à cause des monstres qui sont hors contrôle. La peur au centre de ce monde crépusculaire échoue. Mais il y a encore là-bas des pistes qui peuvent servir notre propre monde.
On est dans un thriller finalement. Avec un duo féminin d’exception.
Tout à fait. L’idée était aussi d’essayer d’avoir plus de richesse dans ce qui va unir ces deux femmes, Lamia et Jane, le voyage entre Venise et l’Égypte, leur sensibilité. J’ai un rapport émotionnel avec mes personnages. Même dans I.R.S., malgré la priorité à une intrigue financière. Je n’ai pas voulu faire quelque chose de très différent cette fois. J’ai d’autres projets plus proches du roman graphique. Dans Les Rivières, il y a de l’action tout en donnant de l’émotion.
Pour revenir à votre collaboration avec Corboz, comment avez-vous travaillé ? Vous lui avez fait un découpage très précis finalement ?
Bien sûr. Yannick est très calme et a beaucoup de volonté. Il dit quand quelque chose le gène. Mais sous forme de suggestion.
Votre scénario est très lourd en charge émotionnelle et n’est pas dans les registres précédents de Corboz.
Pour moi, Corboz a des points communs avec Mathieu Lauffray, des envolées graphiques, un traitement classique de façon moderne. Il prend les choses en main dès son découpage de l’album entier. On est allé dans le détail avec une lecture page par page, texte ou dessin. C’est très précieux pour lui de maîtriser le scénario qu’il dessine. Et il accepte de recommencer si c’est pour améliorer. Le tome 2 sortira dans un an et il fait actuellement le story-board.
Parlons un peu de ce que vous avez d’autre au feu.
Principalement le Scorpion, I.R.S. qui continue avec une collaboration de Reculé et Vrancken. Pour I.R.S., je ne pense qu’on va faire beaucoup d’autres cycles même si l’actualité aux USA en donne envie. On est un peu dans la dernière ligne droite.
Pour le Scorpion la reprise par Critone est impressionnante.
On était d’accord pour ne pas trouver quelqu’un qui ferait du Marini. Ça n’a jamais été l’idée. Aldobrando est une belle réussite de Critone. Il a son style à lui. Le dessin est mature, posé. Marini est un maître de l’action. Cette fois le Scorpion s’interroge et on va fonctionner par diptyque. Le Lion de Judah avec Labiano continue aussi et il y aura trois tomes. Hugues a ensuite un projet personnel. On verra ce qu’on fait ensuite. Difficile aujourd’hui de prévoir ce qui n’est pas plus mal. On en gardait sinon un peu trop sous la pédale pour durer. Le public aime avoir une vraie histoire dans un album.
Vous parliez de roman graphique tout à l’heure ?
En effet avec un bouquin chez Urban Comics au premier trimestre 2021 et un dessinateur qui vient du Costa Rica. J’y parle de la dépression de ma mère, de son séjour dans une clinique, une espèce de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Ce n’est pas très drôle mais il y a de l’humour. Je montre qu’on peut avoir les pires problèmes et faire des rencontres dans ce genre d’endroit, retrouver un certain optimisme. C’est le directeur éditorial d’Urban qui m’a convaincu d’écrire sur le sujet et cela m’a semblé être un bel hommage que je pouvais rendre à ma mère. Il y a aussi une grande part de fiction même si la base est vraie.
Il y a aussi un projet chez Maghen avec Tony Sandoval. Un gros album de 120 pages. C’est un artiste exceptionnel. Le sujet est assez proche de ses univers mais cela sera pour après 2021. Il y aura une grosse surprise avec Bernard Vrancken chez Maghen, Les Enfants du ciel. Un récit qui se passe pendant la guerre dont le héros est un archéologue en 1941. Ce sera très graphique et Bernard va surprendre. Il y aura deux tomes. J’ai encore un projet chez Grand Angle qui a de belles choses dans leur catalogue. Toujours des récits dans l’émotion.
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