Yvonne a 80 ans et doit quitter sa villa, aller dans une maison de retraite, un EHPAD, nom que la crise du Covid a mis en exergue. Même si dans Le Plongeon de Séverine Vidal dessiné par Victor L. Pinel, on n’y fait aucune allusion. L’autrice a écrit son album il y a plus de deux ans. Avec beaucoup de tact, d’émotion et de pudeur, Séverine Vidal raconte le quotidien d’une Yvonne qui n’a pas renoncé à la vie, ni à l’amour mais qui sait que ce sera son dernier galop dans un environnement parfois difficile à vivre. Alors pourquoi se priver ? Témoin et narratrice, Séverine Vidal connait bien le milieu. Elle nous en parle dans son interview avec simplicité et passion. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Quand on découvre votre album, Séverine Vidal, on ne peut être qu’ému, touché et ému par le sujet et la façon dont vous le traitez. C’est difficile de parler de la vie au quotidien dans une maison de retraite et de ses pensionnaires ?
Quand j’écris ce qui me guide c’est le personnage. J’ai eu l’occasion de faire pas mal d’ateliers dans des maisons de retraite mais aussi dans des centres pour adultes handicapés. Donc Yvonne, héroïne de mon album, est née de ses rencontres. Dans ces ateliers, il ne se passe jamais ce que j’ai prévu. Tout explose en fait. On part sur d’autres pistes et j’enregistre, je note. En très peu de temps, il y a des personnages qui ressortent. On va dans l’intime. Je les fais parler d’eux, de leurs rêves, de leur passé. Généralement ils se connaissent bien entre eux. Très vite, on s’aperçoit qu’ils ont de l’humour, que s’ils ont été rebelles autrefois ils le sont restés. Tout d’un coup il se passe quelque chose dans ces entretiens. Il y a quatre ou cinq figures que j’ai croisées et adoptées. Je crois en mes personnages et je les suis. Ils peuvent l’emmener ailleurs loin de ce que j’avais envisagé.
Vous parlez d’une sorte d’identification, on s’imbibe du personnage que l’on devient aussi un peu ? C’est d’autant plus vrai que vous parlez d’une étape de la vie à laquelle on sera confronté.
Oui, c’est vrai et c’est ce qui m’arrive dans tout ce que j’écris. Dans cet album il y a des passages à la première personne. C’est donc d’autant plus fort. Je mets beaucoup de moi dans mes personnages. J’aime suivre quelqu’un qui n’est pas moi tout à fait. Dans le cas d’Yvonne forcément il y a cependant des choses personnelles qui rentrent en jeu. Mon père est âgé et au quotidien c’est difficile. On se projette sur l’avenir et c’est dur de voir l’évolution inéluctable.
Oui mais cette rupture n’est pas si ancienne. Les grands-parents voire les arrière-grands-parents vivaient chez leurs enfants encore dans ma petite enfance. Aujourd’hui la maison de retraite est presque devenue le passage obligé. On vend sa maison, on est veuve ou veuf, on va dans un EHPAD. Votre histoire est aussi une histoire d’amour, de tendresse, le dernier galop.
En fait, je n’ai pas vraiment inventé cette histoire d’amour physique que je place dans mon album. On m’a raconté qu’il y avait dans les EHPAD ce genre d’aventures, des flirts, de couples qui se forment. Souvent ça gène la famille et on les sépare. Cela m’avait bouleversée et j’ai rajouté cette histoire d’amour avec Yvonne.
Il y a aussi une part de crainte familiale de situations nouvelles compliquées à gérer.
En attendant, on voit bien dans ces maisons que ces personnes n’ont pas arrêté d’avoir des désirs ou des rêves. C’est affreux de se dire qu’ils sont enfermés et qu’en plus cela ne se passe pas toujours bien.
Oui il y a l’infantilisation, la direction dans Le Plongeon qui les gronde comme des gamins.
Les intentions du personnel sont souvent louables mais parfois gênantes. Je suis toujours bien tombée dans les maisons où je suis intervenue. Si on y ajoute une histoire d’amour physique ce n’est pas facile cela dit.
Il y a la petite fête qu’Yvonne organise en douce et qu’on leur reproche. On les gronde.
Oui, et souvent ce sont mes craintes que j’ai plaquées sur Yvonne dont sa perte de la mémoire. Elle en est consciente.
Il y a aussi aussi les liens avec la famille qui se distendent.
C’est vrai que la solitude est beaucoup ressortie. Il y a des résidents que personne ne vient voir en EPHAD ou foyers. Cette habitude occidentale d’EHPAD est choquante pour certains pays où on garde les personnes âgées à la maison sans que cela pose débat.
Comment vous avez constitué votre bande de soixante-huitards retraités ?
C’est à la fois un mélange de ce que j’ai vu et imaginé. Beaucoup de femmes dans ces maisons sont très drôles. J’en ai connu une de 98 ans qui quand elle voit sa copine partir se coucher lui dit « c’est ça rentre chez toi, on te fera dire une messe ». Éclats de rire général. Il y a aussi des moments d’émotion intense où les souvenirs reviennent chez l’une et passent chez une autre. En particulier dans les maisons de retraite dans les campagnes où tous ont grandi ensemble depuis la maternelle. Ils adorent raconter leurs bêtises, je l’ai mis dans la BD. Sauf un qui m’a dit qu’on ne racontait pas ses bêtises. Complicité et parfois inimitié qui datent de l’école au point de ne pas vouloir faire équipe au bridge ou à la belote.
Yvonne a plus peur de perdre la mémoire que mourir.
C’est sûr, c’est la peur primaire sur laquelle j’avais déjà travaillé dans un roman. Elle dit « tue-moi si ça m’arrive » à son petit-fils. Il y a le personnage de Fifi qui mime sa vie passée. En fait elle n’est pas folle et c’est une protection contre l’oubli de son vécu.
Yvonne c’est le trublion, le détonateur.
Elle arrive dans un petit monde où ça roule, docilement. Elle est plus jeune. J’ai vu un couple de 75 ans ce qui n’est pas banal, jeune même. L’état généralement se dégrade très vite ensuite. Yvonne lutte contre ça. Au départ je voulais aller jusqu’à sa mort. Et son personnage m’a amené ailleurs.
Oui la fin est belle même et ouverte.
On n’en dit pas plus mais ce sera sa dernière fugue mais sans idée suicidaire. J’avais posé cette question une fois dans un atelier : quel est votre rêve le plus fou ? C’est ce que j’ai mis dans l’album. Courir une dernière fois m’a répondu un monsieur en chaise roulante. Ou revoir leurs parents, leur maman.
Une sorte de retour à l’enfance, aux premiers plaisirs simples.
Exactement. Mais souvent ce n’est plus à leur portée.
Vous aviez déjà travaillé avec votre dessinateur Victor L. Pinel ?
Oui c’est notre troisième BD ensemble. Il y a eu Rose adapté d’un de mes romans puis il y a deux ans on a fait La Maison de la plage. Maintenant Victor qui est Espagnol parle très bien le Français mais même avant, quand mon espagnol était très léger, on se comprenait parfaitement.
Vous lui donnez un scénario complet ?
Totalement découpé case par case. Victor intervient quand il veut. On est très complices. Il y a dans l’album ses grands -parents avec le grand-père fugueur. Il m’a proposé à la fin de répéter le texte ou Yvonne dit « Je plonge ».
Une question qu’on va vous poser. L’album arrive en plein crise du Covid avec son terrible impact sur les EHPAD. Ce sont des établissements dont on ne parlait pas, voire qu’on occulte question de mauvaise conscience. L’album peut-il avoir un impact bénéfique sur la vision que l’on a des EHPAD ?
J’ai écrit l’album il y a deux ans. Depuis je n’ai pas refait d’atelier, impossible. En effet si ça peut ouvrir les portes virtuelles des EHPAD tant mieux. Le confinement m’a bouleversé parce qu’il y a eu des morts de tristesse. J’y ai beaucoup pensé. J’ai fait lire Le Plongeon dans les EHPAD où j’étais passé. Les retours ont été très positifs sur la justesse de ton. Il y a plein de gens bienveillants dans l’encadrement de ces établissements.
Cela peut aider à mieux comprendre le monde des EHPAD depuis notre propre monde.
Ils sont demandeurs. On a fait un atelier croisé avec des enfants et des résidents. C’était génial, avec de beaux moments d’échanges, des rencontres. On peut avoir des craintes au départ et finalement en trois minutes c’est réglé. On discute et on y va.
On se dit en fait que la vieillesse ce n’est pas que pour les autres.
Tout à fait. J’avais autrefois cette impression que les vieux n’étaient que des vieux sans mémoire, qui l’avaient toujours été. En fait ils sont la somme de leur vie. Ils ont été amoureux, parents dépassés. Ils ont été avant nous ce que nous sommes. C’est criant comme celle qui dit que sa bêtise enfant avait été de dire aux Allemands que le maquis était dans la montagne. Elle en portait encore le remord.
C’est la génération de la guerre et malgré des parallèles aujourd’hui hasardeux, on ne vivra jamais ce qu’ils ont vécu.
Oui, eux, on est spectateur quand on les écoute.
Et maintenant ?
J’ai pas mal de projets en BD. La biographie de George Sand, la fille du siècle chez Delcourt avec au dessin Kim Consigny. La BD aura pour titre, Sand la fille du siècle et sort en avril. Puis un album chez Glénat avec Vincent Sorel, dans la collection Karma, Naduah, cœur enterré deux fois, une biographie de Cynthia Ann Parker, l’indienne blanche, enlevée par les Comanches qui a vécu avec eux puis a été récupérée par les Rangers. L’album sortira à l’automne.
Ce sont finalement des destins féminins, Yvonne, Sand, Cynthia.
C’est vrai que quand j’ai le choix je vais aller plutôt vers les figures fortes de femmes qui me touchent. J’aurai aussi des parutions en jeunesse. Ce sont des projets qui ont été reculés mais ce sera une grosse année BD et romans car les reports ont été nombreux à cause du Covid. Trois BD, la même année c’est chouette. Après une année dure et difficile pour l’édition en général.
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