Une histoire pour le moins peu banale, exceptionnelle même et méconnue. Comment un petit village breton, Corps-Nuds, à l’église au look orthodoxe a servi de décor à un film de propagande nazie en 1942 pour montrer la percée allemande en Ukraine. C’est la trame authentique d’Un Amour de guerre avec au scénario Olivier Keraval, Leyho au dessin et la préface signée par le journaliste Jean-Paul Kauffmann qui remet en situation le village de Corps-Nuds où il a passé son enfance. Deux histoires vont vivre ensemble dans cet album poignant, émouvant, sensible, celle de la violence de l’Occupation et celle de ces amours interdites dont la plupart auront une conclusion tragique ou inavouable. Tout se tient, le dessin est de belle facture, réaliste, prenant, la reconstitution et l’articulation du récit sans faille. Des relations coupables, celles du cinéma et d’autres à cause de la couleur de l’uniforme.
Anne Dumas a sa maman dans une maison de retraite où elle est soignée pour un Alzheimer. Sa mère, Hélène, veut absolument lui parler. Elle va lui raconter que voulant être comédienne, à Paris pendant l’Occupation elle s’est présentée à la Continental-Films, société allemande cinématographique qui gérait aussi le cinéma français. Il faut qu’Anne sache la vérité. Son vrai père n’est pas celui qu’elle croit. Prise en charge par Bauermeister, officier allemand, Hélène est présentée à Clouzot à qui il l’impose qui tourne avec Fresnay L’Assassin habite au 21. Et soudain Hélène s’arrête de parler. Comment désormais Anne va-t-elle pouvoir savoir la suite. Elle va devoir plonger dans les souvenirs familiaux et enquêter là où sa mère a ensuite tourné un film de propagande, en Bretagne à Corps-Nuds.
Un polar dont tout le contexte est vrai. Le choix du village est étonnant. On redécouvre le poids de la Continental, les petits arrangements du cinéma français, Raimu qui sera une sorte de caution cinématographique pendant le tournage à Corps-Nuds. Le Corbeau, Les Visiteurs du soir seront tournés sous l’Occupation. Arletty vivra une aventure comme celle d’Hélène. Alfred Greven, directeur de la Continental en France était un ami de Göring avec qui il avait été pilote en 14. Goebbels est le chef d’orchestre d’une propagande très élaborée et efficace, manipulatrice. Il faut aussi ménager tout le suspense de cet album qui traite aussi du drame qu’est la maladie d’Alzheimer. Et de la mémoire locale qui s’efface aussi pour cause d’oubli volontaire de collaboration plus ou moins passive. Un album important, bien fait, bien dessiné avec des fiches techniques, historiques à la fin pour bien comprendre. Le film a été retrouvé et est aux archives d’Ille-et-Vilaine.
Un amour de guerre, Locus Solus, 16 €
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