Des bandelettes autour des mains, du visage, des lunettes noires, qui est donc cet inconnu qui a débarqué dans le patelin paumé de Large Mouth ? Dans The Nobody, Jeff Lemire revisite le mythique Homme invisible de Wells, adapté en 1933 au cinéma, premiers pas, puis en 2020 pour la dernière version en date. On restera cependant très attaché à la série TV en noir et blanc en 1958, et à celle avec David Mc Callum en 1975. Reste que Jeff Lemire remet en piste un héros qui a toujours étonné, fait rêver ou peur. Il lui réserve cette fois, d’un trait sobre, percutant et sans lourdeur, un destin aménagé qui tient en haleine jusqu’à la dernière planche. A noter que, publié en 2009, The Nobody est le premier livre de Jeff Lemire pour un éditeur majeur américain.
A Large Mouth, on dit du mal des autres, on se raconte des histoires car rien ne vient vraiment troubler l’ennui qui y règne. Le jour où un inconnu couvert de bandelettes façon momie débarque au motel et s’installe, va y avoir une hausse des battements cardiaques. Chacun va y aller de son interprétation, de ses délires, de ses angoisses. La fille du patron du resto, Vickie, va réussir à entamer un dialogue avec celui qui dit s’appeler Griffen. Entre eux va se créer une sincère amitié. Il serait un chercheur, un chimiste qui aurait été défiguré par une expérience. Mais comme tout inconnu, même si il finit par se fondre dans le paysage, Griffen va être le suspect idéal à la moindre alerte. On n’accepte pas vraiment la différence à Large Mouth et c’est un bouc émissaire parfait.
Comme dans le bouquin de Wells, Lemire (Plutona) utilise certains des personnages comme Kemp qui retrouve Griffen en réalité Griffin. On est avant tout dans un rapport amical, presque amoureux mais unilatéralement qui va mal tourner pour cause d’angoisse communale, de solitude, dé bêtise, de racisme latent aussi. Il y a motivations et suspense différents de l’œuvre originale, une part sociale et dramatique revue. Qui sont les monstres ? C’est peut-être avant tout la question que pause Lemire dont le trait accentue largement la vigueur du propos.
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